Gilda SABSAY FOKS
Psychanalyste, médecin psychiatre,
Membre de l’Association de Psychanalyse Argentine ( APA)
Psychanalyse de la vieillesse
le 24 Octobre 2008 à 20 heures
au Centre Universitaire Hôtel Dieu le Comte
Place du Préau - Troyes
Texte de la conférence
DE LA VIEILLESSE
Gilda Sabsay Foks
Comment envisager le traitement de la vieillesse, sous ses diverses dénominations : patients d´âge mûr, du troisième âge, sénescents, etc. Aujourd´hui mon exposé sera chronologique et actuel sur le traitement psychanalytique de ces patients.
Par exemple, en Argentine aujourd´hui on considère la sénescence, la dernière étape des périodes classiques, comme une évolution qui mène l´organisme depuis la naissance jusqu´à la mort, en passant par l´enfance, l´adolescence, l´âge adulte. Si l´on considère chacune de ces étapes comme une évolution, il ne faut pas déconsidérer cette dernère période. Car quatorze pour cent de la population mondiale appartient actuellement à cette étape. Selon une statistique de 2007 c´est le pourcentage des personnes au-dessus de 60 ans. Donc cela signifie que de nombreuses personnes, au-delà de 60 ans peuvent avoir besoin d´être abordées psychanalytiquement.
Freud était opposé au traitement psychanalytique des personnes de plus de 50 ans. C´est ce qu´il affirme en 1898 dans La sexualité dans l´étiologie des névroses, en 1904 dans La méthode psychanalytique de Freud et De la psychothérapie. Freud y souligne que les personnes vers les 50 ans manquent de plasticité pour les processus psychiques qui relèvent de la psychothérapie. Il ajoute même que les vieux ne peuvents pas être éduqués. Quand il s´agit de personnes très âgées la durée du traitement en rapport au matériaux accumulés serait trop prolongée et la fin coïnciderait sans doute avec le commencement d´une période de la vie déconsidérée au point de vue psychique.
Karl Abraham s´est occupé aussi de ce sujet dans Contribution à la psychanalyse appliquée. Il y affirme avoir traité des patients d´âge avancé, tels que des patients à dépression mélancolique de plus de 50 ans et deux patients de 50 et 53 ans avec une névrose obsessionnelle grave. Il souligne que ce qui est important pour le succès de la psychanalyse c´est l´âge où apparaît la névrose et non pas tellement l´âge au début du traitement.
Pour en finir avec ces antécédents je vais citer le fameux article d´Hanna Segal de 1961 Quelques considérations sur l´analyse d´un homme de 74 ans. Elle aboutit à cette conclusion: Je ne veux pas dire que sa cure analytique ait été complète et si mon patient eut été un adolescent il aurait eu besoin de plusieurs années de psychanalyse en plus pour s´assurer d´un développement sain et fructueux, mais parfois l´analyse produit de petits changements qui sont bienvenus. Dans le cas de mon patient il s´est agi d´un virage dans ses mécanismes dépressifs ce qui lui a permis d´envisager la finitude de la vie d´une facon moins persécutée, donc de pouvoir apprécier et jouir du bout de vie restant.
J´ajoute que le critère d´Abraham est intéressant, bien que souvent il nous est impossible d´établir la date exacte du début de la névrose et que, en général, ce n´est pas la facon d´aborder un patient. Je crois que l´important c´est le genre de patient et sa capacité d´insight.
Par ailleurs les 50 ans de l´autre époque, et la soi-disante perte de plasticité, correspondent aux 60 ou 70 ans de l´actualité.
Les psychanalystes affirment toujours que le psychique et le soma ne sont pas différents, que le soma exprime beaucoup des aspects du psychique et que les manifestations du patient ne dépendent pas strictement de l´âge chronologique. Par conséquent, il faut accepter qu´un patient de 30 ans peut être plus vieux qu´un patient de 70 ans quant à sa pathologie, sa facon de penser et de vivre.
En nous placant sur le plan de la subjectivité nous ne risquons pas de tomber dans le déterminisme biologique où le corps est marqué au sceau de la chronologie. Le processus biologique ne correspond pas toujours au développement mental, à la capacité de subjectivité, à l´âge réel, chronologique du patient.
Nous devons donc éviter de tomber dans les résistances typiques de certains psychanalystes qui, d´un côté considèrent le caractère atemporel, inconscient du psychisme, mais par ailleurs attribuent une importance démesurée au réel, matériel qui dépend des changements importants de notre époque. J´ajoute que la conclusion d´Hanna Segal révèle une certaine ingénuité, comme si l´analyse pouvait garantir une vie heureuse a posteriori. Je n´oublie jamais l´expression d´Ambroise Paré, chirurgien du XVIème siècle. Je le panse, Dieu le guérit.
Après cette introduction, je vais relater l´intérêt des recherches et du travail sur la psychanalyse de la vieillesse en Argentine à partir de 1970. A cette époque apparaissent les premiers Centres Publiques de Santé Mentale qui offrent des soins gratuits et l´expérience clinique de cures psychothérapeutiques à des personnes de plus de 55 ans. Le traitement était d´orientation psychanalytique avec plusieurs variantes. De même que pour la psychose, nous avons écarté l´objection de Freud.
Il s´agissait d´un traitement de groupe et une fois expiré le temps assigné par l´institution, les patients étaient dérivés à un traitement individuel pendant 4 à 8 mois. Les résultats furent très satisfaisants.
Dans la pratique privée il existe des groupes pour personnes âgés et des cures individuelles. Certains collègues assignent un setting spécial pour ce genre de patients. De même que pour les enfants une certaine plasticité est nécessaire.
De toute facon, aujourd´hui nous avons compris que les instruments techniques employés par l´analyste ne représentent pas toujours le traitement. Ce sont simplement des moyens. Si un patient s´allonge ou ne s´allonge pas sur le divan, cela n´empêche pas le développement de la cure. L´attention flottante permet l´écoute psychanalytique et peut nous mener à faire des interprétations et de même toutes les constructions nécessaires pour aborder au mieux tous les matériaux. Tel que l´affirme Freud en 1937 quand il s´occupe des constructions. Grâce au développement du transfert avec toutes ses vicissitudes, surgit toute la pathologie du patient.
Certains psychanalystes insistent quant au contre-transfert, le considèrent indispensable et la clef du développement de la cure. Je pose quelques modifications à cette facon d´envisager le traitement. Je suis d´accord que le transfert est fondamental, sans transfert il n´y a pas de traitement parce que le transfert suppose en général un transfert réciproque, ou contre-transfert. Cela est valable pour toutes sortes de patients et d´âges.
Evidemment, le contre-transfert est un sujet délicat. Le mot même n´est pas très sympathique. Il s´agit de la captation d´autrui et la possibilité d´une identification avec lui. L´efficacité dépend de la capacité de pouvoir se placer à la place même d´autrui, une véritable empathie à la manière de Ferenczi. Assurément, le choix de l´analyste peut être délicat. On peut croire qu´un analyste âgé est mieux capable de saisir les conflits, mais parfois un jeune analyste, bien formé, a la possibilité de comprenre les anxiétés de ces patients. Je n´insisterais pas sur l´âge du thérapeute mais sur son aptitude et le fait d´avoir pu envisager ses propres anxiétés, ses propres angoisses de mort, et surtout que sa culpabilité inconsciente ne produise pas une contre-identification à la vieillesse, au dénuement et qu´il soit capable de comprendre ce qui lui apporte le patient.
Donc, il ne s´agit pas que les patients soient jeunes ou vieux, mais que l´analyste puisse saisir ce que lui présente le patient.
La problématique commune à tous ces patients c´est de vivre en marge au point de vue socio-culturel, d´avoir des difficultés pour obtenir un travail, pour former un couple, s´ils n´en n´ont pas ou s´ils l´ont perdu. Cette dernière situation est très fréquente. Parfois ils se sentent obligés d´assumer une nouvelle identité pour la perlaboration des pertes subies jusqu´à cette étape de leur vie.
D´un point de vue général je dirais que l´âge de ces patients, de même que leur commune problématique, nous permet de considérer la présénescence et la sénescence en tant qu´étapes de la vie et de souligner que l´amplification de n´importe quel phénomène énoncé doit être envisagé comme un syndrome critique de la sénescence, semblable à un syndrome critique de l´adolescence ou à d´autres crises. Souvenons-nous du fameux article d´Elliot Jaques Mort et crise du milieu de la vie.
L´abord des autres sujets de la problématique de la présénescence et de la sénéscence, surtout la question sexuelle, peut être aussi envisagé d´une façon appropriée.
Je vais essayer d´approfondir le sujet de la vieilless avec comme exemple Le roi Lear de Shakespeare, en tant que métaphore ou structure. De même que Freud a pris le complexe d´Oedipe comme une structure structurante. Le roi Lear décide de prévoir les déficiences de l´extrême vieillesse et de partager ses biens entre ses trois filles.
Shakespeare a écrit cette tragédie en 1606 avec comme source La chronique de Holinshed et une vieille tragédie La véritable histoire du roi Lear et de ses trois filles, d´auteur inconnu. Je souligne que déjà trois siècles avant Freud, Shakespeare exprime dans toutes ses tragédies les mécanismes psychologiques de l´âme humaine, spécialement dans celle-ci. Le roi Lear décide de prévoir les déficiences de l´extrême vieillesse et de partager ses biens entre ses trois filles. Nous y voyons un vieillard qui cherche un repos tranquille, comme tant de personnes âgées et qui décide de partager son royaume entre ses trois filles: Regan, Goneril et Cordélia. Malgré son désir de transmettre son royaume et sa fortune, avant de prendre sa décision il veut connaître les sentiments authentiques de ses filles. Regan et Goneril simulent un amour ardent. Cordélia, la benjamine, qui aime vraiment son père, n´arrive pas à trouver les paroles. Ce manque de paroles est un fait bien connu pour nous psychanalystes et ne signifie pas l´absence d´amour. Cordélia répond seulement qu´elle l´aime autant qu´il faut. C´est une réponse bizarre, mais la seule possilble pour quelqu´un qui ne trouve pas ses mots. Son père interprète cette réponse comme une absence d´amour, la chasse de son palais et la déshérite. Cordélia est recueillie par le roi de France qui l´accepte sans fortune parce qu´il devine son authenticité.
Voilà le début du drame que je vous recommande de lire pour les considérations enrichissantes de Shakespeare. Dès le premier acte on apercoit l´annonce du drame postérieur et la présentation des personnages qui peuvent exprimer les parties, les projectiones du monde intérieur de Lear, de ses gendres et de ses filles. Un personnage surgit, le bouffon, qui peut être l´alter ego ou un dialogue intérieur externalisé. Ce bouffon fait figure de miroir, d´autrui qui pose la question au roi de pourquoi il veut apparaître prématurément comme un vieillard qui tombe dans la folie. Nous pouvons réfléchir et penser que la folie est parfois une défense aux angoisses de la sénescence ou présénescence face à la confirmation de notre condition mortelle.
Le roi Lear en partageant ses biens entre ses trois filles et en désirant être recu dans chacun des châteaux en tant que roi, exhibe sa fantaisie d´immortalité à travers la jalousie de la vie des plus jeunes et ses exigences narcissiques très importantes.
Voici un point intéressant. Certaines personnes âgées refusent d´assumer leur propre identité et s´identifient ou pseudo-identifient à la vie de leurs fils, tout en essayant de soutenir une hégémonie et une autorité qui s´appuient sur la croyance d´une énergie et une activité inauthentiques.
Je pense qu´il s´agit d´une métaphore semblable à la castration oedipienne. Quel genre de castration peut avoir lieu dans cette période évolutive de la vie d´une personne? Afin de ne pas mélanger la biologie avec le psychisme, jouir d´un apprentissage adéquat à son âge et de ses réussites personelles sans en attendre d´autrui?
Ce premier acte est un fidèle miroir du caractère inexorable de la vie, auquel le roi Lear essaye d´échapper grâce a la négation, la toute-puissance, le refus d´assumer la castration, que les fils ne correspondent pas aux désirs de leurs parents, l´ambivalence quant aux affects, et la folie comme issue d´une situation terrifiante. A ce sujet je me souviens de l´expression: il vaut mieux délirer que mourir. A la limite du délire c´est ce que le roi Lear essaye pour échapper à la mort, mais la mort est bien là. Au fond il se tue par crainte de la mort.
A la fin de ce drame tout le monde meurt, comme c´est le destin d´une façon ou d´une autre de tous les êtres humains.
De cette tragédie de Shakespeare je retiens les dialogues avec le bouffon, plaisants et en même temps douloureux, où il peut exprimer au roi avec ironie et humour la réalité de sa pauvreté, alors qu´il se croyait faussement plus riche avec trois palais, qu´avant avec un seul palais. En réalité, une autre recherche de toute-puissance comme défense contre la mort.