ASSEMBLEE GENERALE 2021.
Rapport moral de l’association A.P.A.T, Actualité de la Psychanalyse à Troyes.
Chère adhérente, cher adhérent, chers collègues, chers partenaires.
**L’association entre dans sa quinzième année. La quatorzième fut singulière, bouleversante, tragique. Les évènements nous maintiennent encore aujourd’hui au cœur d’un enchainement qui semble porter en lui une fatalité, et mettent à l’épreuve nos idéaux.
L’épidémie Covid 19 est entrée dans nos vies, bien que nous ne sachions pas si elle modifiera durablement leurs trajectoires, ni si elle infléchira les orientations des mouvements civilisateurs, en termes de progression ou de régression.
Cette réalité du tragique rejoint le travail de la psychanalyse dont la réussite consiste le plus souvent à lever le refoulement sur les parties de notre vie psychique les plus mauvaises et insupportables, souvent tournées contre nous-mêmes, à nous les faire admettre et à nous en rendre responsables donc libres.
Il apparait aussi, actuellement, que beaucoup de nos aires d’expérience, telles qu’elles peuvent se créer dans la cure, dans les espaces culturels et artistiques, dans la rêverie, dans toute forme de sublimation, et le travail en est une, se sont trouvées écrasées, aplaties par les effets de cette épidémie planétaire. Ecrasement des espaces frontière requis pour se rencontrer, jouer, penser, parler, continuer de vivre ce qui était parfois en train de se constituer au plus intime de soi. C’est à une expérience radicale d’altérité que nous faisons face. Nous savons que l’altérité rencontrée en soi ou dans le rapport au monde extérieur est toujours plus ou moins persécutrice et susceptible de faire apparaitre la haine.
En même temps, une sorte de gravité est apparue, ou réapparue, lestant des réalités psychiques qui avaient parfois perdu leurs contours et leurs vérités désirantes. Ne sait-on pas mieux à qui et à quoi l’on tient ? Ne sommes- nous pas dans la gravité du réel de la mort, dans la conscience du poids du vivant, ce vivant que nous avons actuellement à assumer pleinement dans sa part la plus tragique évoquée plus haut, parce qu’à l’issue la plus aveugle. Tout comme la peste tombant sur Thèbes, cette épidémie met l’humanité en quête de sens, craignant pour son destin et cherchant l’origine de la faute et à qui elle revient; la psychanalyse est alors convoquée au cœur de la cité, pour repérer et interpréter la formation de symptômes individuels, groupaux et institutionnels tels qu’ils peuvent se dire ou être agis, puisque c’est toujours par la clinique thérapeutique que la connaissance analytique peut avancer.
Et là aussi, il faut faire avec les résistances de l’humain à pouvoir entendre la part la moins avouable et parfois la plus destructrice profondément refoulée en lui, pouvant se tourner contre les autres.
Ainsi, dans son écoute du sujet de l’inconscient, le praticien tente aussi d’en penser les manifestations dans le rapport entre le monde contemporain et ses institutions.
**Au premier confinement, la pratique des différents professionnels du soin psychique a été modifiée dans ses cadres habituels et a donné lieu à des rencontres pour penser ensemble les effets de ces changements dans le transfert. A.P.A.T a montré sa vitalité en tant qu’organisatrice d’espaces potentiels pour travailler ensemble dans ces moments d’isolement dans la pratique pour chacun, en libéral ou en institution.
Les activités de l’association ont été soutenues par le désir de leurs responsables et leurs participants. Nous avons dû admettre que l’outil de la visioconférence restait pour certaines activités, la seule façon de travailler et de maintenir des liens entre nous.
Certaines activités ont été suspendues, d’autres maintenues sous des formes nouvelles.
I. LES CONFERENCES
** Juste avant le premier confinement, le 07 février, Béatrice Braun et Thierry Schmeltz ont invité deux intervenants du Centre psychothérapeutique de la Velotte, le Docteur Vincent REBIERE, psychiatre et psychanalyste, médecin-directeur et Christophe JOEDICKE, soignant infirmier. Ils avaient choisi comme sujet de leur intervention : « Entrer dans un cadre c’est entrer dans sa tête ». Ils ont présenté le dispositif de soin pensé dans l’héritage de Paul-Claude Racamier et ont fait valoir la qualité groupale de leur travail, dans l’invention permanente, et l’engagement de chacun dans l’analyse des impasses ou échecs, collectifs ou individuels, ce qui demande un courage certain et un sens éthique à questionner de quel désir cet engagement se soutient.
Comme souvent, ce passage à Troyes de professionnels qui ont quelque chose de singulier à transmettre est aussi le moment de rencontres pour découvrir des lieux d’accueil où adresser potentiellement des patients de notre région. Ces premiers contacts, ces noms associés à des visages et à une présence facilitent ces éventuelles adresses.
** La deuxième et dernière conférence de l’année, entre les deux confinements, a également permis de réaliser l’un des objectifs de l’association: provoquer des rencontres avec des analystes au travail, et dont ce travail ne consent ni réduction ni ambiguïté entre ses deux natures : la nature thérapeutique et la nature analytique. Montrer comment la psychanalyse est thérapeutique est certainement l’une des façons de travailler aussi pour l’avenir de la psychanalyse.
Ainsi, le 26 septembre, Christine BOUYSSOU-GAUCHER, psychanalyste invitée par Sylvie Joly, est venue parler à partir de son livre : « Louange, l’enfant du placard. Psychothérapie analytique d’un enfant autiste ». Pierre Delion qui en a écrit la préface relève « l’honnêteté intellectuelle » de la thérapeute qui « au début n’y comprend rien, puis progressivement des formes se dessinent, des scénarios s’organisent, des histoires se construisent et une fonction métaphorique apparait ». Il note aussi l’importance d’un tel récit in extenso de la cure d’un enfant autiste, parce que cette thérapie montre comment la psychanalyse permet des changements structurants chez un enfant au départ si peu construit dans sa vie psychique et son langage. Ce récit montre aussi que la psychanalyse peut trouver sa place dans un Centre médico-psychologique de secteur, avec les difficultés que la thérapeute a su évoquer au cours de sa conférence.
La rencontre en atelier clinique du lendemain a été très nourrie des recherches des uns et des autres dans leur pratique avec ces enfants autistes, preuve de la confiance que la conférencière a su établir à partir de sa propre position de chercheuse, répondant aux besoins de cliniciens analystes en attente d’avancées cliniques.
Deux autres conférences ouvertes au public élargi ont dû être reportées du fait des deux périodes de confinements. Nous les évoquons rapidement :
Il s’agit, pour l’une et sur la proposition de Pauline Hager, d’inviter Dario Morales, psychologue et psychanalyste, ayant une longue expérience du milieu carcéral et qui doit venir parler autour du thème « la violence, symptôme du lien social ? », et pour l’autre de l’organisation d’un spectacle-débat que Brigitte Martinez-Tartois propose en deux temps : lecture par Benoit Ollivier de l’autobiographie du peintre Gérard Garouste intitulée « L’intranquille », suivie d’un débat animé par Thierry Delcourt, psychanalyste à Reims, qui a beaucoup travaillé la question de l’art et de la folie. Il est également envisagé de projeter des œuvres de l’artiste pendant la soirée.
La venue de Dario Morales doit par ailleurs mener à la co-création d’un groupe de travail théorico-clinique.
II. LES GROUPES DE TRAVAIL
Ils ont tous été, à un moment donné suspendus. Certains ont pu reprendre par visioconférence.
Les groupes de travail théorico-cliniques :
- Groupe autour de la pensée de Wilfred Bion. Responsable : Anne Delafosse-Bazin
- Travail autour de la lecture du Séminaire XX « Encore » de Lacan. Responsables : Geneviève Grandin, Denis Schmitt.
- Psychopathologie et cinéma. Responsable : Alain Gaillard
- Aborder Lacan : retour au texte de Freud « Inhibition, symptôme, angoisse ». Responsables : Danièle Lévy, Geneviève Grandin
- Séminaire d’introduction à la psychanalyse. Responsable : Thierry Schmeltz
- Trauma traumatisme, penser l’impensable. Responsable : Béatrice Braun
- Sensibilisation à la psychanalyse à partir de « L’exposé de Freud sur l’histoire d’une névrose infantile : L’homme aux loups ». Responsable : Alain Méry
En principe, tous ces groupes sont ouverts et susceptibles d’accueillir de nouvelles personnes.
Les groupes cliniques :
- Groupe accueillant des cliniciens travaillant en libéral ou en institution, avec des enfants, adolescents, adultes. Responsable : Brigitte Culioli
- Groupe ouvert à « tous ceux que la pratique auprès d’autrui interroge, quel que soit son exercice professionnel. Responsable : Denis schmitt
- Groupe accueillant des professionnels débutant leur pratique clinique et des non-débutants. Responsable : Alain Méry
- Clinique des premiers entretiens, en cabinet ou institution. Responsable : Sébastien Smirou
- Clinique de l’enfant et de l’adolescent à partir de la méthode du tissage des pensées. Responsables : Caroline Gilbert, Sylvie Maréchal.
Les rencontres du samedi :
Elles ont démarré en 2019. Il s’agit d’un atelier centré sur des questions concernant la pratique analytique, donc ouvert aux professionnels recevant des patients à partir des fondements de la pensée freudienne. Début 2020, le premier confinement a modifié le cadre de cette pratique et amené les professionnels à utiliser des modalités d’écoute inhabituelles. Cela a fait naitre, sur l’impulsion de Thierry Schmeltz, un groupe éphémère nommé « clinique du confinement », fait pour échanger sur nos pratiques et correspondant à l’esprit de cet atelier.
Sur l’initiative de Jean-Luc Diot, il est prévu de continuer à travailler sur ce sujet à partir d’un film réalisé par le psychanalyste Pascal Laethier et par Clovis Stocchetti : « Psychanalyses en temps de confinement », qui regroupe un ensemble de témoignages de psychanalystes en réflexion sur leur pratique.
III. PARTENARIATS
Les évènements de cette année ont mis en suspend certaines initiatives avec nos partenaires, ainsi avec la Médiathèque et le Campus universitaire.
Le séminaire intitulé « Approches psychanalytiques », issu du partenariat entre des membres d'A.P.A.T et l’Institut Universitaire Rachi s’est interrompu puis a repris en visioconférence. Il poursuit le thème de l’an passé : « Le père », avec ce nouveau titre « Du familial au social : entre transformation et continuité ? ».
Par ailleurs, depuis longtemps ; A.PA.T souhaitait avoir un lieu pour constituer une bibliothèque, regroupant entre autre les ouvrages des conférenciers ayant été accueillis. Un projet est en train de voir le jour.
Géraldine Roux, directrice de l’Institut Rachi nous a proposé de disposer de rayonnages dans la bibliothèque de l’Institut. Nous la remercions chaleureusement pour cet hébergement et la possibilité de bénéficier des services de la bibliothécaire.
IV. VIE ASSOCIATIVE ET VIE PUBLIQUE
Un nouveau partenariat s’est créé dans le contexte de l’épidémie Covid 19.
En 2018 et 2019, la municipalité avait proposé à deux reprises une rencontre entre les associations troyennes et les élus locaux. Notre Maire, Monsieur François Baroin avait exprimé son inquiétude face à certains phénomènes sociaux violents et montré son intérêt pour notre association dans son travail d’ouverture dans la vie de la cité. A.P.A.T avait en retour exprimé son intérêt pour le tissu associatif aubois, lieu d’articulation entre la vie interne des associations et leur engagement public.
En mars, au début du premier confinement , un partenariat entre notre association et la municipalité a permis la création d’une cellule d’écoute psychologique, dont les dix-sept écoutants d’A.P.A.T étaient tous cliniciens formés à l’écoute et à entendre autre chose que le discours manifeste. La Mairie de Troyes et Troyes Champagne Métropole ont apporté leurs moyens techniques pour accueillir les appels et diffuser l’information de l’existence de cette cellule d’écoute.
Au cours du premier confinement, quelque cent appels ont été reçus de début mars à fin juin. Personnes isolées n’ayant jamais fait appel à un professionnel, ou personnes en rupture temporaire de soin psychiatrique, personnes souffrant d’angoisses traumatiques, ou inquiètes pour un fils, une mère, un conjoint, chaque appelant a témoigné de sa subjectivité face à cet évènement de masse écrasant, pour tenter un dégagement. L’écoute attentive et repérée comme singulière a souvent été remerciée.
Lors du deuxième confinement, et sur la demande de la Mairie, la cellule a été ré ouverte. Elle a reçu peu d’appels répondant à la nature de cette cellule. Il s’est agi souvent plus de demandes concrètes sur les téléalarmes, les dérogations, etc.., ce qui pouvait montrer la confusion par rapport aux consignes sécuritaires ; on peut aussi se demander si ces fausses adresses avaient en leur fond une autre demande inaudible parce que non formulable. Il semble que le sentiment d’enfermement et l’isolement radical du premier confinement contiennent une partie de l’explication clinique de cette différence entre les deux destins de cette cellule.
Cette expérience a été l’occasion d’échanger sur cette clinique nouvelle pour les professionnels de l’association, à partir du forum créé pour cette circonstance sur le site et des visioréunions. Et ces élaborations ont été très riches.
Tous les adhérents et tout le mailing de l’association ont été informés de la création de cette cellule d’écoute et de sa reprise en novembre et nous les remercions également d’avoir transmis l’information autour d’eux.
Ce partenariat nous a permis de rencontrer des représentants de la municipalité et de mieux faire connaitre A.P.A.T. Nous remercions chaleureusement les membres de l’équipe municipale ayant soutenu cette initiative, montré un véritable intérêt pour notre association et permis ce partenariat, en particulier Madame Céline Blott, Directrice Générale Adjointe du pôle Famille et proximité, Directrice Adjointe du CMAS, qui a été notre première interlocutrice, et nous a permis de rencontrer Madame Stéphanie Fraenkel, Adjointe au Maire chargée de l’éducation, de l’enfance et de la jeunesse, et référente covid.
Par ailleurs, notre collègue psychologue Elisabeth Gariglio également adjointe municipale, attentive à ce que la souffrance psychique soit une préoccupation centrale dans l’accompagnement citoyen a permis une rencontre avec Monsieur Fadi Dahdouh, adjoint au pôle santé.
V. PERSPECTIVES
Nous espérons que les projets évoqués plus haut pourront se réaliser en 2021. L’association crée des liens, vit de ces liens et du plaisir à penser ensemble. Elle soutiendra tout ce que les moyens techniques actuels lui permettront de soutenir, avec leurs limites, c’est-à-dire sans réduire coûte que coûte ce plaisir à penser.
Les sombres réalités de cette pandémie, le fait de son extension à une si grande échelle de l’humanité, ses conséquences psychiques individuelles et ses effets collectifs mobilisent la recherche et la pratique de la psychanalyse telle que notre association la soutient, entre autre dans la façon dont elle peut au mieux communiquer sur l’avancée de ses connaissances, notamment thérapeutiques. Cette ouverture doit se poursuivre. Nous avons à y être.
Pour reprendre la remarque d’un collègue lors de la précédente assemblée générale, nous nous devons, puisque nous nous sommes voulus liés par un désir de nous constituer en association et que cela constitue un engagement, d’être audibles à des non-initiés.
Ainsi, conjointement à ses activités qui mettent sans cesse au travail la recherche sur les fondamentaux théoriques et l’expérience clinique, mêlant les générations et assurant sa continuité, A.P.A.T continue à tenir l’engagement et la responsabilité qui l’ont en partie constituée : faire valoir un discours, une pensée et une clinique analytiques en mouvement et en action dans le monde contemporain.
Anne Delafosse-Bazin,
Troyes, le 29 janvier 2021.