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23 novembre 2015

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

Le psychanalyste et l’enfant entre le su et l’insu


Introduction.
Quel sera le devenir de cet objet de désir, en situation de devenir un être ? Depuis plusieurs mois, il habite un espace chaud, liquide, nourricier et confortable et va devoir, d’ici peu, se faire connaître. Il est déjà équipé de ses gènes, hérités de ses père et mère, il sait ou ne sait pas s‘il sera garçon ou fille, ni quel sera son destin.

Au sortir de ce havre de tranquillité, poussé par la nécessité biologique et par l’effort de sa mère, sa première manifestation sera un cri qui lui ouvre l’accès à l’air libre et à la respiration et annonce son entrée dans le monde des vivants. Dans les bras de sa mère, il en perçoit l’odeur, il entend leurs voix, mère, père, peut être ne lui sont-elles pas étrangères, il a possiblement perçu ces voix avant d’être « sa majesté le bébé », sa toute 1ère identité. Pour l’instant, il est dans le monde des perceptions externes et internes qu’il ressent, enregistre dans son stock de mémoire, sans pour autant leur donner un sens intelligible pour lui. Il se sent bien. La représentation de sa personne est encore dans une indistinction mère-enfant, le corps à corps fait lien. Ne tenant pas encore sa tête, il apprécie que sa mère l’aide en ce sens, cela lui permet de saisir rapidement son environnement du regard. Il est un peu groggy, le passage d’un univers à l’autre est tout de même une performance un peu fatigante… D’ici peu, il aura dormi et à son réveil, son regard sera plus ferme, il verra des visages souriants auquel il répondra, peut être en écho, fugitivement. L’odeur de sa mère, le timbre de voix de celle-ci et celui de son père, maintiendront l’univers sécurisant antérieur en établissant les nouveaux repères de sa vie externalisée. Il est dans l’adaptation, dépend de cet environnement, aidé dans son fonctionnement par le mimétisme. Cet être n’est pas encore une personne sauf pour son entourage, il n’est pas encore sujet, probablement pas capable de relier les ressentis à des émotions et par conséquent à des affects. Mais c’est bien qu’on l’aime, qu’on lui parle, qu’on le familiarise avec son corps dans lequel il est encore bien empêtré. Il est né, certes, mais n’a aucun moyen de survivre seul et, cependant, la façon dont il va se manifester spontanément va instituer la toute première relation avec son père et avec sa mère : le regard qu’ils vont porter sur lui pèsera sur son identité, avant même qu’il en ait eu la moindre idée. Commence le roman familial, autour de lui et pour l’heure, à son insu.

Si j’ai choisi de commencer mon exposé par la naissance, c’est parce que ce moment est indicatif de la complexité de l’être au monde de chacun. Il est toujours intéressant, lorsqu’il s’agit d’envisager le suivi d’un enfant, de commencer par la façon dont il est né. Parfois, il en a eu le récit, s’il vit dans une famille qui raconte les évènements, parfois il découvre l’émotion de sa mère à cette occasion. De toutes les façons, cela l’inscrit dans une histoire, son bien propre, tout à fait unique. Cela donne lieu à une première représentation de sa situation. Pèse, en effet, le capital génétique de l’enfant, le contexte obstétrical et ses éventuelles modalités, les interactions avec les parents et le reste de la famille, frères et sœurs, grands-parents, la mise en place de l’alimentation, du sommeil, les 1ères interactions, projections faites sur lui, qui n’est pas encore en situation de sujet.
Le travail psychanalytique repose sur l‘histoire du sujet, celle qu’il va retrouver et reconstruire mais ces 1ères données, si elles sont inscrites dans une mémoire biologique, échappent à une représentation affective repérée par le sujet. Les émotions et perceptions ne sont pas encore organisées par l’enfant, pour permettre une inscription. Il en est de même pour le mimétisme qui accompagne chacun de nous, au cours de la vie, sans que nous en ayons nécessairement conscience. Il y a donc un socle inatteignable dans l’organisation de chacun qui reste un noyau dur, inaccessible et pourtant fondateur de la personnalité : regarder un bébé qui vient de naître montre d’emblée s’il est davantage réceptif à l’univers extérieur ou à son ressenti corporel interne, par exemple, et cette position aura un avenir dans son développement avec lequel il devra faire son chemin.

Après avoir positionné l’enfant, j’ai envie de regarder, à ma façon, le psychanalyste et tenter de le situer :
Le psychanalyste est un sujet qui, à un moment de son histoire, a souhaité engager un travail de recherche sur lui-même, à partir de ses souvenirs d’enfance. Il a reconstruit les lignes de forces qui l’ont amené à être ce qu’il est et à devenir ce qu’il peut espérer être, compte tenu de son organisation psychique, de son histoire, de ses liens affectifs avec son environnement. Il a le désir de poursuivre un travail d’élaboration, tout au long de sa vie. Pour ce faire, il a recours à un autre psychanalyste, lui-même ayant parcouru ce type d’itinéraire, en référence aux travaux de Freud, revus et corrigés par les différentes institutions psychanalytiques établies à sa suite.
Lorsqu’il décide un travail psychanalytique, il est dans la même incertitude que le bébé qui vient de naître, au moins il en est conscient. Son vécu lui pèse, à certains égards, mais il l’a enrichi de toutes ces émotions, de tous ces drames qui pour l’instant le débordent quelque peu. Il décide d’en parler à un tiers, psychanalyste, qui a tenté auparavant le même parcours avec une autre vie. Ce dernier constitue pour lui le garant de cette recherche. Il ne trouvera pas autre chose que ses potentialités, il espère les utiliser mieux pour lui et pour les autres. Il va reconnaître l’enfant, toujours présent en lui, avec sa quête d’amour, ses vécus d’incapacité ou d’abandon. Il va reconstruire son histoire.

Je vais donc évoquer devant vous, successivement, l’enjeu de la 1ère rencontre, les modalités spécifiques de la psychanalyse d’un enfant ( jeu interactif, prise en compte du développement) l’alliance avec les parents. J‘essaierai aussi d’aborder les aspects institutionnels, culturels et sociaux dans les mailles desquelles se débattent les jeunes d’aujourd’hui.
Au décours de ce récit, vous allez percevoir que, pour moi, le résultat repose sur la qualité du Transfert entre le Psychanalyste et l’Enfant.


I - Scénario de la 1ère rencontre :
J‘utilise à dessein ce terme, car il s’agit d’un psychodrame, encore que celui-ci ne soit pas nommé et fonctionne plutôt à l’insu des protagonistes. Les parents ont pris la décision de rencontrer avec leur enfant un psy médecin ou psychologue, car ils ont le sentiment que leur enfant ne va pas bien : il est intelligent mais a des difficultés scolaires, il présente des troubles du comportement, il ne parle pas, il semble vivre ailleurs, il est enfermé dans un monde imaginaire, il ne s’alimente plus, ne dort plus, il vit en autarcie… J’égrène, devant vous, les symptômes qui vont engager la démarche des parents, à leur initiative ou poussés par l’école, les voisins, la famille environnante… on est loin de la position de l’adulte qui vient consulter un psychanalyste.

Le cadre : Tenant compte   de cette situation particulière, j’avais aménagé l’espace d’accueil : Une table rectangulaire où je prenais des notes, 2 fauteuils pour les parents, en face de moi. Une chaise à la table à côté ou perpendiculaire à moi, pour que l’enfant puisse avoir son espace propre et porter un regard sur ses parents et sur moi. Enfin, des jouets sur le divan, latéralement, à peu de distance de la tablebureau, placé de façon à être dans le champ visuel des parents et le mien. En effet, s’il s’agit d’un enfant de moins de 4-5 ans, il faut qu’il puisse s’occuper pendant que je prends en note quelques éléments biographiques, fournis pas les parents. Ainsi il est présent, attentif et concerné. Dans ce contexte, je vivais ce que j’appelle : «  mon examen de passage », selon ce qu’il percevait de mon écoute de ses parents, de l’attention que je lui portais par le regard ou à travers mes remarques. Parfois, il intervenait dans l’entretien, interrompant une phrase de ses parents, ceux-ci de dire « on ne coupe pas la parole des adultes », ce que je pouvais reprendre : il avait justement dit quelque chose qui lui tenait à cœur et cela n’interrompait pas, pour moi, l’échange que nous avions, mais avait sa place, dans le déroulement de l’entretien.
Dans ce scénario, le psychanalyste est impliqué sur plusieurs registres à la fois. Les parents le prennent à témoin de leur inquiétude ou de leur colère vis à vis de l’enfant, ils attendent une solution aux problèmes, rêveraient qu’on leur en donne la clé. Ils ne s’intéressent pas vraiment au diagnostic sauf lorsqu’il s’agit d’autisme et là ils sont déjà allés consulter sur internet. Ils espèrent aussi de l’empathie, une certaine capacité de .s’identifier à eux en tant que parents, adultes en difficulté, et qui plus est, ils sont un couple, le père, la mère, c’est à dire 2 personnes, 2 regards différents. En même temps, l’enfant est présent, il entend l’énumération de ses difficultés, vues par ses parents, il peut en convenir ou les contester mais ne va pas l’exprimer ici, il regarde la situation. Il sait qu’il aura un temps à lui avec le psychanalyste après cet entretien et avant la conclusion de la consultation. Celle-ci reprendra le scénario d’entrée, pour envisager une proposition. Le psychanalyste doit aussi, dans ce moment, s’identifier à l’enfant, imaginer ce qu’il peut vivre de l’exposé de ses parents et mémoriser ce qui interviendra dans l’entretien qu’il aura avec lui.
Vient ensuite l’échange avec l’enfant seul. Il commence souvent par l’interrogation sur ce qu’il a pensé du discours de ses parents.. Mais parfois, l’enfant a occupé le temps en construisant quelque chose avec les jouets et c’est cela qu’il va mettre en premier plan et dont il va parler. Parfois, il se sera installé à côté du psychanalyste, face à ses parents, ou sur le côté les parents à gauche, le psychanalyste à droite, il aura commencé un dessin. Il va alors associer sur ce qu’il a dessiné et entrer dans le vif du sujet, c’est à dire dans un espace d’élaboration. Le psychanalyste va se mettre à la disposition de l’enfant, souplement, en fonction de ces 3 types de situation. Au terme de ce temps, une alliance est établie entre l’enfant et le psychanalyste et la fin de l’entretien avec lui reposera sur sa décision de poursuivre le travail d’élaboration engagé.

Cette première rencontre peut ressembler à une consultation thérapeutique à partir de laquelle l‘enfant a un projet, il se sent sujet et les parents sont mis en confiance. Au décours de leur récit, ils auront mis du sens aux comportements de leur enfant et à leurs propres réactions. Ils auront eu l’impression d’être entendus, voire compris, soulagés et ils sont désormais disposés à contribuer à l’évolution de leur enfant. Dès ce moment, le travail thérapeutique est engagé et chacun est mobilisé autour de ce projet. C’est dire l’importance qu’il n’y ait pas un grand intervalle de temps entre cette 1 ère consultation et le début de la prise en charge régulière car si l’intervalle est court, il est déjà inscrit dans la thérapeutique. Le temps d’attente est une frustration productrice d’élaboration … à condition que le temps ne soit pas trop long ; sinon c’est le vécu d’abandon qui l’emporte avec le déni de la pensée.
L’entretien avec les parents n’aura pas été un historique exhaustif de la vie familiale et scolaire. Il faut tenir compte de ce qu’il y a d’émotionnellement difficile pour eux, à raconter le mode de vie à la maison et les soucis concernant leur enfant à un inconnu. Ce dernier est censé porter un diagnostic, c’est à dire un jugement : combien de parents sortent de la 1ère consultation en se vivant jugés négativement ? Ils n’auront pas su élever correctement cet enfant puisqu’il faut le « montrer » à un psychiatre. Ceci apparaît au décours de leur discours, pendant lequel habituellement ils s’accusent eux -mêmes et le silence du psychanalyste peut renforcer leur culpabilité, sans que ce dernier en soit toujours conscient. L’enfant, de son côté, entend pour la 1ère fois, ses parents se déclarer coupables alors qu’habituellement c’est toujours lui l’accusé ! Et cela lui fait un drôle d’effet…

C’est dire que la 1ère consultation, si elle engage un processus psychanalytique, sera nécessairement incomplète du point de vue des éléments anamnestiques nécessaires.  Sa seule finalité est effectivement, pour le psychanalyste, de percevoir la problématique de l’enfant et d’établir avec les parents une alliance autour du travail engagé avec l’enfant. La répétition des séances donne largement le temps de poser aux parents les questions qui n’ont pas été abordées d’emblée, la confiance établie entre parents et psychanalyste leur permettra facilement, en amenant l’enfant, d’évoquer des éléments supplémentaires, au fil du travail.
La situation permet à l’imaginaire de l’enfant et du psychanalyste d’envisager un espace d’élaboration sur le type de lien qui va pouvoir se construire entre eux deux et sur le désir pour l’enfant, de partager quelque chose des affects, des peurs et des interrogations que sous-tendent les difficultés, évoquées devant lui, par ses parents.
C’est d’ailleurs sur cette base, après l’entretien, seul à seul, qu’ils décident ensemble d’entreprendre un « travail ». Lorsque les parents reviennent dans la pièce, le pacte est conclu entre l’enfant et le psychanalyste et c’est ce dernier qui l’annonce aux parents : «  il semble possible d’entreprendre un travail pour comprendre ce qui se passe et étudier avec l’enfant comment les choses peuvent évoluer. »
En général, les parents demandent à l’enfant son avis, il confirme son accord, d’autant plus clair, qu’il a remarqué la réserve du psychanalyste quant au contenu de leur échange. Ainsi est institué un lieu privilégié dans le monde de transparence et de bavardage auquel il est plutôt habitué, un monde où le « tout dire » pèse lourd. La capacité de ne pas livrer aux parents le contenu de l’échange avec l’enfant, est une garantie pour ce dernier, qu’il peut faire confiance à cet adulte, capable de garder par devers lui ce qui s’est joué entre eux deux, tout en restant tout à fait chaleureux à l’égard des parents.

C‘est en ce sens que l’on peut parler de Psychanalyse avec un enfant : les 2 protagonistes partent sur l’hypothèse d’un cheminement psychique autour d’une souffrance qui se manifeste par des troubles du comportement mais repose sur un insu de la part du sujet et de la part du psychanalyste. C’est à travers la relation de transfert qu’un peu de lumière va se faire pour l’un et l’autre et permettre une mise en mots et en affects, susceptible de réorganiser le développement de cet enfant. Au mieux, les symptômes pourront céder, mais l’essentiel sera l’ouverture à la capacité de liaison psychique des affects et des peurs. Ceci lui permettra de reprendre, dans sa vie d’adulte, une démarche de recherche de sens, à travers son vécu, et d’intérêt pour ses rêves…

II - Les modalités spécifiques du travail psychanalytique :
Elles reposent sur 2 aspects très différents de la psychanalyse avec un adulte : -L’interactivité qui fait voler en éclat la présence silencieuse, -La problématique du développement, en cours chez l’enfant.
Le travail analytique avec un enfant tient à la technique du jeu à partir de laquelle s’organise l’élaboration de façon interactive. L enfant a besoin d’un environnement de langage minimum pour se sentir accueilli. Il dispose dans le bureau du psychanalyste de crayons, de personnages ou d’animaux domestiques ou sauvages à l’aide desquels il est invité à construire un jeu…mais ne n’est pas seulement un jeu, comme s’il était tout seul, car il donne à voir et à penser au thérapeute. Parfois, la séduction du matériel va embarquer l’enfant tout de suite dans une excitation ludique comme lorsqu’il est seul. Mais il n’est pas seul ! Car il est un moment où le psychanalyste va intervenir, lui montrant que son jeu a un sens par rapport à ce qui le concerne. La situation de silence et de disponibilité d’un adulte à l’égard d’un enfant, de façon régulière, peut être perçue comme une séduction extraordinaire : ce jeune enfant va voir un monsieur ou une dame qui semble passionné par ce qu’il raconte ou ce qu’il joue : voilà qui est bien exceptionnel ! Certes le professeur de piano le reçoit aussi individuellement, dans un rapport d’autorité, il est le sachant, l’enfant est l’apprenti. Le psychanalyste semble à son niveau, le reçoit avec plaisir, ne le critique pas, l’écoute avec intérêt et même lorsqu’il est silencieux, donne l’impression d’être bien avec lui … c’est une situation tout à fait exceptionnelle.

La compréhension du contenu des séances régulières est parfois difficile pour l’enfant. Il ne se pose pas nécessairement la question, pas plus qu’il ne se pose la question de la fréquentation scolaire. Et pourtant voilà qui est bien différent ! m’a été montré par un garçon de 7/8 ans que je voyais depuis l’âge de 3 ans à la suite d’un repli autistique. Il souhaitait continuer à venir pendant ses vacances et avait expliqué à sa cousine, arrivée chez lui depuis quelques jours, qu’il venait me voir parce qu’ainsi il allait être bon en histoire et géographie à l’école…ce qui avait laissé sa mère perplexe… C’est dire qu’il était incapable de justifier ces rendez-vous, par ailleurs très investis, mais dont le sens était peu lisible pour lui. Il travaillait alors avec moi sur les vampires qui lui permettaient d’affronter les mathématiques, les chiffres étant pour lui bien plus dangereux que le monde des vampires dans lequel il vivait à l’aise …en tout cas dans les séances avec moi ! Le thème de fonds était son désir de meurtre, bien évidemment à des lieues de sa conscience, puisqu’il était un garçon bien élevé, dans un milieu familial attentif. Son repli autistique avait suivi une hospitalisation de quelques semaines en pédiatrie, sans sa mère, pour un reflux. Cette séparation avait été gravement traumatique. (Il fera un rêve à l’âge de 10 ans environ, renvoyant tout à fait à la situation en question)

Un autre a mis fin à la tranche de travail en cours, les symptômes ayant disparus et son adéquation dans la vie familiale et scolaire étant équilibrée, en disant à sa mère : «tu comprends, je ne vais pas venir la voir que pour lui faire plaisir » et effectivement il était opportun de faire un break dans le travail et de le laisser grandir par ses propres moyens…
Il n’est pas toujours facile pour un adulte en psychanalyse, d’énoncer à un tiers le moment qu’il traverse avec son analyste. On peut imaginer une difficulté encore plus grande pour un enfant. Il sait qu’il est partant pour rencontrer son psychanalyste, il en ressent le désir, parfois un bien-être, reconnaît un attachement, mais il lui est tout à fait difficile d’énoncer le contenu du travail en cours et, quand les parents lui demandent ce qu’il a fait, il répond souvent « un dessin ». De là à ce que ces derniers l’imaginent engagé dans un atelier de dessin avec un adulte muet sans pour autant avoir la moindre chance de devenir un artiste renommé !...

Il faut tenir compte d’ailleurs de la représentation que se font les parents de la situation thérapeutique, si l’on souhaite ne pas les exclure et leur permettre d’accompagner ce travail. C’est souvent au moment où ils amènent l’enfant et donnent des nouvelles sur la semaine écoulée et au moment du départ de l’enfant. Pendant la frustration de l’attente, ils aimeraient bien savoir ce qui se passe dans ce huit clos. Parfois, ce temps leur fait retrouver des éléments qu’ils avaient omis de dire et qui leur paraissent importants, comme si la situation leur avait aussi donné un espace d’élaboration. Un échange, bref mais chaleureux, leur restitue la valeur du travail accompli pendant la séance sans pour autant en donner les éléments, comme pour justifier le temps qu’ils viennent de consacrer à leur enfant et les intégrer à cette démarche. De ce point de vue, j’ai remarqué que le trajet de l’enfant, accompagné par son père ou sa mère, donnait parfois l’occasion d’échanges fructueux entre eux alors que la vie familiale groupale ne le permet pas si souvent. C’est ainsi que père et mère deviennent en quelque sorte co-thérapeutes.

L’interprétation, moment essentiel dans une psychanalyse d’adulte, est compliquée par la participation interactive dans le cadre du jeu, celle-ci demande une certaine spontanéité de la part du psychanalyste, loin de l’attention flottante de la séance de psychanalyse adulte. Elle doit également intégrer le développement de l’enfant : il grandit physiquement, intellectuellement mais aussi avec des situations affectives qui ne sont franchies qu’à certaines étapes de croissance, somatiques, psychiques et affectives, posant la question de « l’après coup » Lorsque l’adulte engage une psychanalyse, il sait qu’il doit « associer librement », dire ce qui lui vient à l’esprit sans en modifier le cours et s’il le modifie, il sait que ceci a un sens, qu’il doit rechercher. L’enfant va être plus spontané, pas nécessairement vigilant quant à son bavardage et l’intervention du psychanalyste va éventuellement lui permettre de prendre conscience de ce qu’il vient de formuler. Elle fait irruption dans son discours et constitue une interprétation.

Parfois l’enfant ne dit rien spontanément et il faut le solliciter pour qu’il s’exprime : il fait un dessin, une maison, un personnage et un arbre et rien ne se passe. C’est dans ce cadre que l’élaboration peut s’enliser : l’enfant et le psychanalyste s’ennuient ensemble, de façon répétitive. Reste le confort, pour l’enfant, d’avoir un espace propre avec un adulte bienveillant, mais le travail élaboratif peut demeurer enfoui et les symptômes, poursuivre leur ronde infernale. Cependant, le silence du psychanalyste pendant la séance est parfois une opportunité pour l’enfant de se savoir écouté, observé avec intérêt, sans le commentaire réducteur habituel de l’adulte. C’est parfois une telle nouveauté qu’il va pouvoir s’en saisir et développer lui-même, ce qui est important pour lui. Mais on ne peut le laisser trop longtemps dans un silence hermétique car il retombe alors dans son isolement et ce sont les figures d’abandon qui adviennent et doivent alors être interprétées.

Le lien avec la vie extérieure, la fameuse réalité qui elle n’est pas que psychique, me paraît important dans le cadre du travail avec un enfant. Ceci est radicalement différent de la situation psychanalytique adulte. Les enfants ne sont pas toujours attentifs à ce qu’ils vivent ou à ce qu’ils provoquent mais se mettent parfois dans des situations dont ils ne mesurent pas les enjeux. Un adulte, qui se saborde dans sa vie extérieure alors qu’il est en analyse, sait que le travail analytique va éventuellement l’amener à des passages à l’acte et qu’il doit être prudent dans ses décisions du moment. De toutes les façons, il va nécessairement en parler en analyse, alors qu’un enfant, s’il a une bonne relation avec son thérapeute, ne va pas lui dire ce qui ne va pas, pour se protéger ou le protéger. Il ne se vantera pas de son dernier passage à l’acte, ni de ses conséquences désastreuses, d’autant que pour lui, le comportement est un langage, que l’adulte concerné devait comprendre, ce qui n’est pas toujours le cas. Il ne va pas en parler spontanément à la séance.
Il est donc utile de demander au parent qui l’accompagne comment s’est passé la semaine. Alors, éventuellement, s’introduit un moment de la réalité externe à propos duquel l’enfant réagit ou non. Le psychanalyste aura ainsi renouvelé l’alliance avec les parents de l’enfant, sans pour autant y accorder une importance majeure, mais cela fait partie de la vie de l’enfant et s’il veut en parler, il peut le faire, ou reprendre le fil de ses associations personnelles. Il me paraît important que le psychanalyste se montre attentif à ce que l’enfant vit, en dehors de la séance, il n’est pas indifférent et la mise en langage des évènements vécus par l’enfant est une valeur, mise à sa disposition. Ne pas cultiver l’insu…

La technique interactive est particulièrement importante dans l’’élaboration des conduites obsessionnelles. Si le 1er entretien avec les parents a évoqué devant l’enfant la multiplicité des TOC, l’enfant de 9 ans, présent, les trouve, lui, particulièrement stupides et inexplicables. Il ne va pas vouloir en parler parce que cela lui fait honte, il n’en trouve pas le sens, tout en y étant contraint, au quotidien. Il veut bien dessiner mais ce sera des dessins souvent lisses, sans le moindre conflit. Il utilise ainsi tout le temps de la séance sans quasi parler. Le psychanalyste est à son tour, enfermé dans la boîte à contrainte.
J’avais imaginé introduire une technique de bande dessinée aménagée dans laquelle l’enfant dessinait à tour de rôle avec le psy, l’enfant étant chargé de construire sa propre lecture de ladite BD. Ceci avait l’avantage de bousculer le rythme mais aussi d’introduire des perturbateurs dans l’histoire qu’il fallait bien alors caser et l’amener de façon détournée à évoquer l’agressivité, la culpabilité, les peurs et la magie. Ce n’était certes pas plus raisonnable de faire une BD avec un adulte (qui ne dessine pas vraiment bien !) que de répéter 3 fois de suite le grattage du tapis ou de devoir impérativement fermer tous les tiroirs de la cuisine… Il s’agit là d’une position qui va au-delà de l’interactivité habituelle avec un enfant car c’est une intrusion, assez discutable, dans son processus défensif. Ce qui atténue l’aspect intrusif, c’est la façon dont le psy présente le jeu, en soulignant le côté hypothétique et questionnant de cette modalité de travail. On retrouve là le su et l’insu… entre les 2, il y a la recherche et pourquoi pas la fantaisie et le rire qui manquent cruellement dans le monde des TOC. Là encore, les capacités de liaisons introduisent de la libido et de la vie. Avec un enfant, de toutes les façons, tout ce que le psy formule, est présenté comme une réaction à ce qu’il comprend, une ouverture potentielle à un autre regard sur ce qui vient de se manifester..

En quoi le côté interactif du psy pose problème ? Dans le commentaire du jeu ou la participation directe, il peut être trop intervenant, bousculant le déroulement psychique de l’enfant .Par ailleurs, s’il ne semble pas comprendre de quoi il s’agit ,s’il est trop passif, l’enfant ne saisit pas tout seul ce qu’il vient de montrer. Cela suppose une capacité d’identification à un enfant en train de jouer et oblige à ne pas être la « grande personne » décrite par Cocteau qui détient le savoir et le pouvoir et qui s’ennuie…L’adulte doit toujours naviguer entre le su et l’insu vis à vis d’un enfant dans le cadre de la cure. Ce dernier est en construction, il utilise les matériaux qui sont à sa portée dont certains sont visibles pour le psychanalyste, d’autres moins, voire enfouis. Les histoires familiales traumatiques sont souvent non dites ou non connues de l’enfant mais susceptibles de porter un poids conséquent
sur ce dernier.

Le travail psychanalytique avec un enfant passe, pour être efficace, par un investissement très important du psychanalyste qui peut entrer en conflit avec le lien que l’enfant établit avec ses parents. J‘ai ressenti cela, en particulier, avec les enfants adoptés. Leurs parents sont souvent dans une souffrance particulière : ils se sentent plus culpabilisés que les parents naturels, si l’enfant présente des troubles du comportement. L’enfant joue parfois sur ce tableau, établissant un rapport manifestement positif avec le thérapeute qui va représenter le parent idéal…ceci est une résistance bien sûr, vue par le psychanalyste, mais risque d’alimenter une détresse supplémentaire au niveau des parents adoptifs. Ils ont parfois besoin de prendre du temps pour accepter de confier cet enfant à un autre substitut parental, parfois il faudra aménager le début de la prise en charge, pour que les uns et les autres en saisissent l’enjeu…Après tout, il ne s’agit pas pour les parents d’avoir un enfant mais bien de reconnaître à un enfant sa capacité d’être en tant que sujet, dans ce cas précis : venu d’ailleurs.
En dehors de la situation spécifique de l’adoption, le lien privilégié que l’enfant établit avec son psychanalyste va être parfois ressenti douloureusement par les parents : ils vont mal vivre le lien positif de l’enfant avec un autre adulte, alors qu’il est si difficile à vivre pour eux. On retrouve cela aussi chez les adultes dans les couples en difficulté, où la personne qui a entamé une psychanalyse, va étayer son point de vue sur celui qu’elle « prête » à son analyste et qui montre à quel point elle a raison…

La problématique de développement de l’enfant nécessite d’être prise en compte : la représentation de la sexualité adulte est une affaire à épisodes, elle survient à l’âge de 3 ans avec les cauchemars et revient vers 9 ans avec d’autres cauchemars qui ne se ressemblent pas. Il est facile avec un enfant de 10 ans d’évoquer ses cauchemars de l’âge de 3 ans, en les rattachant à une représentation sexualisée de la relation amoureuse des parents, l’enfant regarde alors sa conception de la relation amoureuse dévorante avec amusement, maintenant qu’il sait pertinemment que les bébés ne se font pas seulement avec des bisous …on est déjà sur ce créneau là dans l’après coup…mais la petite fille de 9/10 ans reste perplexe à propos du cauchemar qui l’a réveillée quand un brigand pénétrait avec effraction par la fenêtre de sa chambre !.. Même si elle a adoré l’histoire de Blanche Neige quand elle était petite !

Un garçon de 7 ans est amené par sa mère pour une encoprésie : il laisse des traces dans son slip alors qu’il était propre : Il s’agit d’un enfant raffiné, intelligent, très sensible, amateur de musique. A la 1ère séance, après l’échange avec sa mère qui justifie la demande de rendezvous, il va dessiner un masque : Je me contente de souligner que le masque me fait penser à un masque de chevalier : son prénom est en lien avec les chevaliers de la table ronde, il va me parler du roi Arthur. Il m’indique ainsi, à son insu, qu’il veut être considéré comme un roi, en avoir la prestance, en contrepoint du contenu de la consultation où il est désigné comme un petit garçon sale. En même temps, il me fait savoir que c’est un masque : il cache quelque chose. Ceci pour la 1ère séance permet une intervention, narcissisante d’une part mais aussi indique, d’entrée de jeu, qu’il cache quelque chose et que nous allons chercher ce
qui est derrière le masque : c’est l’ouverture vers l’élaboration, travail qui vient de commencer. A quelque temps de là, il va dessiner un escargot magnifique avec une tête d’escargot à l’intérieur. A ma question, il répond : il a un bébé dans le ventre. Nous voilà dans le vif du sujet pour un enfant qui, en dehors du symptôme indiqué, a des cauchemars qui l’amènent à se précipiter dans la chambre des parents au milieu de la nuit…
Il va aussi produire un rêve à quelque temps de là où il va être dans une bagarre effrayante avec une fille qui a une vraie tignasse et qui l’attaque : elle le frappe avec un crayon sur la tête. La tignasse de la fille lui fait penser à celle de son petit frère, de 3 ans plus jeune que lui, dont il est jaloux. Il dit que tout le monde lui fait des compliments pour ses cheveux bouclés : j’ai vu le petit frère récemment qui a accompagné sa mère au rendez-vous, manifestement par curiosité à mon égard. Bien entendu, le rêve vient à point nommé pour étancher sa jalousie et vérifier si je suis, moi aussi, sous le charme de la tête bouclée ou si je continue à le considérer comme le plus beau avec ses cheveux lisses et blonds. Cet enfant va restaurer assez rapidement ses symptômes et cependant, malgré la qualité du travail, l’élaboration actuelle de la sexualité repose sur ce qu’il en sait ou peut imaginer, et si la rivalité avec le frère va évoluer de façon positive rapidement, ainsi que sa capacité de garder à l’intérieur de sa tête les acquisitions scolaires, comme le reste, la problématique de castration à laquelle il est confronté vis à vis de son père, restera en remaniement jusqu’au delà de l’adolescence.

Tout se passe dans l’enfance comme si l’inconscient abordait les problèmes de la sexualité avec une performance, une mise en représentation tout à fait pertinente. Celle -ci sera amenée à être refoulée en partie, la mise en mots et en représentation permet la levée des symptômes du moment, pour se manifester éventuellement plus tard, après un refoulement des émotions et des affects actuels. L’inconscient est intemporel, le développement du sujet suit sa propre temporalité amenant, à la faveur des émotions ultérieures, de nouvelles représentations psychiques. Celles-ci feront émergence à la conscience, à travers les rêves ou les symptômes, ces derniers faisant barrage à l’élaboration. La qualité de celle-ci, en lien avec celle du transfert établi, permettra à cet enfant d’aborder, à l’âge adulte, les problématiques de jalousie, de confiance en soi, de manque c’est à dire en terme de psy : libido, narcissisme et castration. Dans l’intervalle, il aura aussi modifié le regard porté sur ses parents, lesquels, tant qu’il est jeune, restent représentatifs de modèles même si le jeune les critique ponctuellement, il a besoin, pour s’édifier, de les considérer comme relativement ou merveilleusement bons.

Je donne un exemple de ceci à travers une situation concernant un enfant que j’ai suivi, il y a fort longtemps, pour des difficultés scolaires dans une famille attentive et qui faisait de son mieux. A l’époque, je ne considérais pas la thérapie en cours comme remarquable puisque le jeune en question passait certes de classe en classe mais au prix d’une obligation pour sa mère d’étayer la scolarité au quotidien, depuis la 5ème jusqu’au bac. Le contenu des séances était très factuel et défensif, autour d’un lien privilégié avec sa mère et plutôt hostile vis à vis de son père. Il est venu m’annoncer son succès au bac comme s’il l’avait gagné par pure chance…pas du tout conscient alors d’être intelligent …
Il a ensuite poursuivi IUT et UTT pour finir ingénieur…Mais je l’ai retrouvé, après ma retraite, alors qu’il avait un poste important dans une entreprise. Il présentait alors un sentiment aigu d’étrangeté qui le paralysait, notamment pour conduire sa voiture. Il était alors question d’une mise sous traitement neuroleptique.. Mais après s’être renseigné, il a su que je continuais à travailler et nous avons repris des séances en face à face. Si je me souvenais fort bien du travail au long cours avec lui, il avait oublié la plupart du contenu de ce travail, notamment l’idéalisation de sa mère et la haine de son père. Il n’a pas pris de neuroleptiques, même si je me posais la question d’une entrée dans la psychose… La qualité du lien établi à travers la psychothérapie, pendant plusieurs années, a été un socle suffisant pour lui permettre une élaboration féconde. Peut être que l’élément essentiel sur lequel il s’est fondé pour reprendre un travail avec moi, a été la reconnaissance narcissique, et le lien affectif, il était alors dans un vécu de castration majeure avec une libido encore infantile. J ‘ai pu mesurer, au cours de ce travail, à quel point le remaniement de son histoire était important. Il a fait une reconstruction, tout à fait intéressante et évidemment performante, de son histoire infantile. Elle lui a permis un réaménagement de ses investissements vis à vis de son père, de sa mère, tandis qu’il pouvait désormais non seulement réussir professionnellement mais se marier, être heureux avec son épouse et père de famille attentif…
La qualité des liens établis avec la famille, malgré les résultats scolaires médiocres pendant le suivi, m’a sans doute permis de pouvoir reprendre sa situation d’adulte dans de bonnes conditions. Il aurait pu aussi bien voir un autre psychanalyste et obtenir le même résultat, mais je dois dire que, si je ne l’avais pas suivi antérieurement, j’aurais été très impressionnée par le symptôme d’inquiétante étrangeté et l’angoisse qu’il projetait lors de la reprise.

Je vais citer Green et Chervet qui sont des psychanalystes à l’écriture plus savante que la mienne. Green dit notamment : « Dans les théories sexuelles infantiles, l’enfant invente une causalité nouvelle sur ce qu’il imagine de la sexualité des parents. On peut y raccorder les idées sur le roman familial. » Plus loin, en référence à Métapsychologie de Freud, il rappelle que « l’inconscient ignore le temps ». La vérité historique n’est pas la vérité de l’histoire mais ce que le sujet est capable de penser selon les moments de son histoire. Freud dit aussi que le rêve c’est une manière de se ressouvenir. La construction en analyse est un travail de liaison : le travail de l’Eros
Chervet déclare que les caractéristiques du mouvement psychique sont : «  les relations entre la problématique de l’effacement et celle de l’inscription. »
Si j’ai cité ces 2 auteurs c’est qu’ils illustrent par rapport à mon propos, la difficulté du travail avec un enfant. Elle amène le thérapeute à ne pas savoir ce qui va pouvoir être intégré durablement du travail psychique fourni, le remaniement des affects, de la mémoire est nécessaire pour édifier une histoire reconstruite dans la perspective d’un étayage du sujet. Cette reconstruction n’est pas toujours suffisamment bonne pour garantir au sujet un équilibre affectif et de plus, la vie amène aussi, à travers les évènements, des moments de fragilité.

Pour un adulte, ayant entrepris une analyse, il lui suffit de reprendre « une tranche » comme cela se fait mais pour l’enfant, le souvenir du travail psychanalytique est en général peu précis , ce qui en reste, dans le meilleur des cas, est un souvenir suffisamment bon. Cette petite fille, que je maintenais en thérapie dans un contexte familial grave, ne rêvait jamais. Elle est revenue me voir adulte, pour me dire qu’à l’époque, elle rêvait, mais le contenu de ses rêves mettait trop en question son père pour qu’elle puise s’autoriser à les raconter…Elle avait en tout cas retenu que les rêves ont une dynamique. Elle venait me montrer, adulte, qu’elle avait désormais un regard sur ses capacités d’élaboration même si elle n’a pas pour autant repris un travail avec moi.

III - L’alliance avec les parents :
L’enfant ne raconte rien, le psy ne raconte rien et les parents ne comprennent pas ce qui se passe. Si en plus, les symptômes persistent, ils ont l’impression de perdre leur temps ou que le psychanalyste donne raison à leur enfant. On ne peut pas, à mon avis, faire l’économie de la souffrance des parents: Lorsque j’étais jeune, j’ai été amenée à prendre en charge une petite fille terrible, admise à Gai Soleil à l’âge de 5 ans, tellement elle était difficile à vivre. C’est son éducatrice qui me l‘avait envoyée.
A l’époque, on pouvait se rendre service entre institutions, du moment que la sécurité sociale s’y retrouvait, à savoir que seul le prix de journée de Gai Soleil était compté, le temps hebdomadaire de consultation dans mon service passait à la trappe mais les résultats faisaient tout de même des économies dans le long terme. La mère m’amenait l’enfant et se plaignait beaucoup à l’éducatrice. Celle-ci la trouvait très violente avec sa fille et m’avait demandé de conseiller à cette dame une psychothérapie en ville. J’ai donc saisi la 1ère occasion pour indiquer cela à la mère, le comportement de sa fille étant suffisamment difficile à supporter pour qu’elle ait besoin d’une aide. Résultat : interruption du travail hebdomadaire pendant 2 mois : je me suis dit que j’avais eu tort et me suis arrangée pour récupérer mère et fille, en disant à la mère que ma proposition d’un suivi pour elle, m’était apparue, dans un 2ème temps, comme une erreur. Eh bien oui ! Elle a pu me décrire, par la suite, la violence de sa fille et la sienne propre en réaction, me disant qu’elle avait besoin de toute son agressivité pour tenir. Nous avons poursuivi le travail pendant de nombreuses années au cours desquelles, elle a pu me déverser, en dehors de sa fille, toute sa difficulté : c’était ma 1ère petite fille à comportement autistique, violente, agressive mais tellement émouvante qu’on ne pouvait pas la lâcher. Inutile de dire que ce n’est pas à coup d’interprétations qu’elle a évolué mais, le comportement étant un langage, elle a dévoré les lettres en pâte à modeler de la jeune orthophoniste qui travaillait avec moi, et, à ce prix, elle a appris à lire et à écrire, ce qui lui a été bien utile plus tard. Le transfert reposait sur une certaine capacité d’hystérisation de ma part qui me permettait de mettre en scène et en affect l’importance des interactions entre cette petite fille et moi. A ce prix, la construction d’un fil conducteur nous emmenait vers un sens partagé.(ex des fins de séances des boots jetées dans mon bureau etc…)
Dans un tout autre registre, avec des enfants de moindre désorganisation psychique, il faut tenir compte du nécessaire effacement dans l’enfance qui permettra une inscription ultérieure. Cela amène à être prudent dans ce qu’on montre aux enfants. Il s’agit davantage d’accompagner un processus d’élaboration des affects positifs ou négatifs, traversés par l ‘enfant, et lui permettre de trouver une position par rapport à ses investissements et contrinvestissements. Ainsi, il va s’autoriser à penser ce qu’il vit, tout en sachant que son point de vue est nécessairement actuel et susceptible d’évoluer avec le temps. Le psychanalyste doit pouvoir saisir de quoi il s’agit et trouver ce qui peut être entendu par l’enfant sans effraction. Ce dernier réalise en général que le psychanalyste a compris plus de choses qu’il n’en dit, ce qui l’incite à chercher luimême avec ses mots. De plus, l’aspect culturel intervient aussi, dans l’alliance avec les parents, comme le roman familial, su ou insu. Les associations issues du travail avec l’enfant amènent parfois à rencontrer à nouveau, comme dans un 1er entretien, le parent concerné, pour reposer des questions. Si le travail en cours est bien investi par les parents et l’enfant, celui-ci peut accepter que son psychanalyste souhaite revoir l’histoire familiale. Alors, les choses qui peuvent se dire devant l’enfant seront évoquées et pourront être reprises dans l’élaboration du travail. Evidemment, il y a des cryptes familiales qui ne peuvent être mises à jour de cette façon et qu’il faut laisser en jachère. Le « tout dire » n’est pas toujours opportun.

IV- les problématiques vis à vis du scolaire, du social et du culturel :
Compte tenu de ma situation de psychiatre et de la façon dont j’ai entretenu les relations avec le milieu scolaire, éducatif, judiciaire, social et culturel (merci aux Passeurs de textes) je ne peux faire ici l’économie de sortir de mon appartenance à l’APAT pour ouvrir des liens qui m’ont paru indispensables vis à vis des enfants. La psychanalyse pose la problématique du sujet et se veut à sa disposition pour qu’il puisse advenir à ce qu’il est. Le psychanalyste lui-même est le 1er sujet à advenir à ce qu’il est et ce n’est pas si facile. Si la population moyenne qui arrive en pédopsychiatrie n’a aucune idée de ce qu’est la psychanalyse, par contre l’importance de cette référence a permis, me semble-t-il, une réflexion importante car justement, centrée sur le sujet, et amenant à un questionnement nécessaire sur les institutions qui ont en charge les enfants. Comment faire un travail thérapeutique en respectant au maximum le sujet qu’est l’enfant et en établissant des relations avec le cadre de vie de ce dernier ?
J’ai beaucoup évoqué l’alliance avec les parents mais nous devons aussi travailler en relation avec le tissu de vie des enfants : l’école, le quartier, la justice, la vie sociale. Il est indispensable de préserver la confidentialité de l’échange avec l’enfant dans la séance, c’est d’ailleurs la qualité de cet espace, exceptionnel pour un enfant, qui va permettre le travail. Alors, qu’allons nous dire aux enseignants, aux médecins, infirmières des écoles, collège et lycées à propos des enfants que nous suivons en thérapie, qu’allons-nous dire à l’assistante sociale , à l’assistante maternelle, aux éducateurs, au juge des enfants, au médecin généraliste de la famille, à tout cet environnement qui nous sollicite éventuellement, nous demande des comptes et pour lesquels, le fait de nous retrancher derrière le secret professionnel coûterait cher à l’enfant  et aggraverait la situation ? Si l’enfant a eu l’habitude de nous entendre dire à ses parents, après la séance où ils nous interrogent : « aujourd’hui on a bien travaillé »ou « c’était un peu difficile »avec une conviction chaleureuse qui se passe de commentaire, il ne va pas se sentir menacé, si on l’informe qu’on va rencontrer son institutrice ou son éducateur ou la personne qui va décider de son orientation. Il est nécessaire de l’informer, voire de convenir avec lui, de ce qu’il souhaite faire savoir. Il sait parfois de façon pertinente ce que l’adulte en question est susceptible d’entendre, vu de sa fenêtre. C’est un exercice périlleux mais, là comme ailleurs, il est question d’écouter d’abord, de percevoir la demande de l’autre, pour découvrir le plus souvent, que le professionnel sait beaucoup de choses dont il a envie de parler. Il est surtout question de se faire confiance et de partager un savoir faire. On reproduit alors une situation sociale assez proche de celle de la famille : celle-ci est le 1er échantillon de société : 2 sujets se rencontrent, décident de vivre ensemble, d’élever des enfants, cela ne retire rien de leurs différences et même au sein de la famille, il n’est pas toujours opportun de tout se dire. Par ailleurs, ce qui va être ressenti par l’intervenant, concerné par l’enfant, c’est la qualité de l’investissement du thérapeute vis à vis de ce dernier. Chacun fait de son mieux, avec les moyens dont il dispose, avec les outils à sa portée. Parfois, cet échange est une vraie rencontre qui permettra d’envisager d’autres suivis communs, et la famille élargie de l’enfant ne s’en portera pas plus mal, même si ce dernier donne du fil à retordre aux uns et aux autres.

Lorsque j’utilise le terme de famille élargie, ce n’est pas un hasard, car, à travers les difficultés rencontrées dans la vie réelle d’un enfant, nécessitant l’intervention de tiers, j’ai parfois rencontré des professionnels d’une telle qualité, chacun respectant l’institution de l’autre, que j’ai agrandi mon savoir mais aussi le plaisir de ne pas me sentir seule sur une île déserte par rapport à un enfant ou à des parents en grande souffrance. C’est la différence de la situation avec un adulte en psychanalyse où la réalité psychique prime sur la réalité externe sauf en cas de décompensation mettant sa vie ou celle d’autrui en danger. Mais en même temps, un enfant est sous le pouvoir des adultes environnants qu’on ne peut changer mais qui peuvent le mettre en danger de façon consciente ou inconsciente.

Le psychanalyste n’abordera pas de la même façon un problème posé dans une famille dont le parcours culturel a des spécificités qu’il doit respecter voire investir s’il veut que l’enfant puisse se sentir reconnu, à travers ses origines. J’ai été grandement aidée dans une psychothérapie difficile à propos d’une jeune fille en situation d’inceste indirect, par la lecture que j’avais fait des traditions familiales de son peuple d’origine, qu’elle ne connaissait même pas mais que j’avais lues dans un roman à visée ethnographique. Cela m’a permis de me préserver d’un jugement trop rapide sur la situation et nous avons progressivement élaboré une sortie de crise où la jeune fille a pu se positionner comme sujet et se dégager sans trop de drame de la situation …
Ce n’est pas ici : dans l’université Rachi, que j’ai besoin de rappeler à quel point l’héritage culturel et la capacité de traduire les cultures a de l’importance et que nous avons un besoin impérieux, voire impératif d’être savant.

Les rencontres avec le milieu judiciaire ou les inspecteurs de police nécessitent d’être conscient de la portée de ce qui est entendu, parfois un document écrit permet de formaliser avec l’intéressé, ce qui peut être transmis.

J’ai un exemple qui me revient de cette jeune femme dont nous avions, en hôpital de jour, le 1er enfant, jeté violemment à terre lorsqu’il était bébé car ses pleurs étaient insoutenables pour la mère. Il en avait gardé des séquelles sévères, le 2ème enfant était en famille d’accueil. Elle m’annonce qu’elle attend des jumeaux. Certes, elle avait beaucoup progressé mais on était encore loin du compte, et j’ai dû lui dire que je m’opposais à ce qu’elle élève ces 2 bébés à venir mais que la juge déciderait. J’ai donc écrit une observation que je lui ai lue où je rappelais à la fois les moments difficiles de sa vie et ses origines que nous avions travaillé ensemble et les aléas avec ses enfants jusqu’alors. Elle a été très émue de ce descriptif et a conclu « oui c’est vraiment bien ce que vous avez dit mais je vais quand même demander à la juge de me laisser les élever. » Elle a gagné et j’ai suivi assez longtemps ces 2 nouveaux enfants sans qu’il soit nécessaire de les prendre en hôpital de jour. La maman a continué de progresser avec une armada de puéricultrices, d’assistantes sociales et d’aides à domicile…

Enfin une réflexion concerne les institutions. Toutes secrètent leurs lois, leurs réglementations, leurs contraintes, parfois leurs maltraitances. Les institutions chargées de recevoir des enfants présentant des troubles du comportement, familial, scolaire, social dans une visée thérapeutique, ont mis en place un protocole comme dans toute institution qui se respecte. Presque toutes les structures fabriquent des listes d’attente. J’ai dit plus haut, combien il est dommageable pour un enfant ou un jeune, d’être inscrit sur une liste d’attente. C’est de cette réflexion qu’est né le « Temps du Devenir »où il a fallu que nous trouvions une solution pour qu’un jeune, demandant un rendez-vous, puisse être reçu le plus rapidement possible. Cela a totalement bousculé l’organigramme, jusqu’alors habituel, qui nécessitait un 1er rendez-vous nécessairement avec un médecin. Comme le médecin, au sein d’une institution, est le plus cher payé, il appartient à la cohorte la moins nombreuse. De plus, il a des fonctions diverses qui ne lui permettent pas de ne faire que des consultations étiquetées de « dépistage » joli mot avant la mise en piste  Si donc le protocole indique que ce soit le médecin qui reçoive en premier toute demande adressée à l’institution, cela crée une liste d’attente. Si, de plus, celui-ci n’assure pas de psychothérapie parce qu’il n’en a pas la formation ou ne le souhaite pas, il se trouve confronté à devoir faire un examen complet pour être sûr d’assurer une transmission exhaustive de la problématique en cours. Obligé de faire une anamnèse médicale, il croit et se fait un devoir, de ne rien laisser au hasard. Le seul résultat certain, est le vécu, parfois traumatique pour les parents, de cet interrogatoire fouillé. L’enfant, lui, ne sait pas très bien ce qui va advenir de lui. La conclusion de la consultation annonce une réflexion d’équipe ou une série de bilans complémentaires à la suite desquels on informera les parents de l’orientation envisagée, en réponse à leur demande … L’enfant est donc placé sur une piste, au cours de laquelle il rencontrera d’autres indiens dans un délai indéterminé…Si le délai est trop long il va cristalliser ses symptômes, sans rechercher pour lui-même, une représentation de la façon dont il va pouvoir en sortir. On appelle cela une prise en charge. Les parents pourront dire à la maîtresse d’école que leur enfant est inscrit à l ‘institution correspondante : ils ont fait ce qu’il faut. Sont- ils mobilisés pour autant ? Pas toujours : ils sont entrés dans un protocole qui peut être ressenti comme impersonnel. Il ne s ‘adresse pas spécifiquement à eux. C’est la procédure générale, pour tous ceux qui prennent rendez-vous dans une institution. Le résultat ne sera donné qu’après une synthèse des professionnels.
Celle-ci pèse son poids. Il est assez peu en rapport avec l’esprit de la psychanalyse mais est en lien avec le contexte financier de la structure qui va organiser une réunion avec les professionnels rassemblés où plusieurs situations d’enfants seront présentées, pour trouver la ou les personnes susceptibles de prendre chaque enfant en suivi, psychologue, orthophoniste, psychomotricien, rééducateur pédagogique… Le médecin fera un compte rendu en bon ordre de tout ce qu’il a perçu lors de cet entretien unique et il va passer la main. Peut être envisagera-t-il de revoir la famille et l’enfant de temps en temps pour « faire le point ». Même si l’équipe en question est sincèrement motivée pour venir au secours de chaque enfant, même si la synthèse est aussi un moyen de partager et d’enrichir ses connaissances, elle décortique les cas et les sujets deviennent objets d’étude, de recherche, ce qui n’est pas forcement négatif mais simplement assez éloigné de la demande initiale.

Lorsque cependant, l’enfant trouve un thérapeute dans l’équipe en question, il peut parfaitement entreprendre un vrai travail d’élaboration et aller mieux. Il aura alors fait une alliance nouvelle avec l’adulte qui lui a été proposé et le résultat sera à la hauteur des attentes des uns et des autres. Le dépistage initial, situé dans une perspective historique, permettra peut être au thérapeute d’en reparler avec le médecin du départ… Car le travail d’une équipe de professionnels dans un même lieu a aussi bien des avantages !

Par exemple, ce petit garçon de 3 ans amené à ma consultation pour un bégaiement survenu à la naissance de sa petite sœur. Le bégaiement est une trouble neuro moteur lié à un affect bouleversant… En l’occurrence, une petite sœur est née, là où ce jeune seigneur se pensait un enfant tellement charmant qu‘il n’était pas nécessaire d’en fabriquer un autre ! Devant laquelle, évidemment, tout le monde s’extasiait ! Le bégaiement est venu réaliser l’interdit de dire la phrase, bien connue, de l’ainé devant le nouveau venu : «  tu ne trouves pas qu’il pleure beaucoup, on devrait le ramener à la clinique ! »Là les mots restent coincés: il bégaie! Après avoir vu avec l’enfant et les parents que la naissance de la petite sœur est une affaire compliquée, je vais le présenter au psychomotricien, le bureau d’à côté, pour voir s’il ne pourrait pas prendre le jeune seigneur en psychomotricité et lui faire représenter, sans utiliser la parole, ce qui le traverse, un mime en quelque sorte, tandis que le psychomotricien, lui, mettrait les mots, sous son contrôle. Ce qui fut fait. Ainsi, toute l’agressivité pouvait être représentée sans que ce ne soit scandaleux, au contraire, ce pouvait même être un jeu super, reposant sur la qualité de compréhension du professionnel, lequel était doué ! Le bégaiement disparut et désormais le psychomotricien pouvait prendre d ‘emblée ce type de troubles de la parole en direct, son travail évitant la facilitation neuro-motrice, si invalidante lorsqu’elle persiste. Il faisait d’une pierre 2 coups, puisqu’il s’agissait pour l’enfant de reconnaître sa propre agressivité et d’en faire bon usage. Nous avons tous deux beaucoup appris en échangeant sur ces problématiques et le psychomotricien a assuré le traitement seul et obtenu le succès. Les échanges, en effet, sont fructueux au sein d’une équipe car ils permettent une réflexion qui s’enrichit devant l’évolution, toujours singulière de chaque enfant. Ceci se rapproche alors de la situation de contrôle de psychothérapie ou de psychanalyse, où le professionnel expose la situation d’un patient à d’autres personnes. Celles-ci lui renvoient un autre regard sur sa propre évaluation et lui permettent éventuellement de réorganiser la compréhension qu’il a de son patient. C’est à lui de mettre en œuvre, dans la relation thérapeutique, ce qui a porté sens à travers le regard du superviseur et des collègues. La fonction y est de partager, avec les frères et sœurs de la famille psy, la compréhension et la difficulté de la réponse à une situation thérapeutique qui pose problème ou interrogation et à laquelle chacun peut s’identifier.

L’écart existe, me semble-t-il, entre les échanges à visée de recherche et de compréhension autour d’une situation partagée, avec des professionnels impliqués par un suivi d’enfant, et le dispatching de situations non encore investies au décours de synthèses collectives. Ces protocoles, liés aux systèmes de rémunération des actes ou des professionnels, s’inscrivent parfois en contre sens de l’objectif qui les a déterminés. Il n’est pas facile de remettre ce fonctionnement en question, il s’agit de systèmes tellement bien rodés que personne ne s’aperçoit, à quel point, ils peuvent réaliser l’opposé de la réponse à la question posée par l’enfant en souffrance et sa famille, celui-ci de sujet devient objet. De plus, c’est une procédure sécurisante, elle a le mérite d’apporter un plaisir d’échanges chaleureux si le climat institutionnel le permet, échanges vigilants, voire hostiles s’il y a des conflits de personnes au sein de la structure. Dans l’ordre du social, les cascades de tarifs différentiés accompagnent le parcours des enfants depuis le service de prévention, d’AEMO, de placement en internat, de suivi à domicile. Chaque unité a un tarif et des professionnels différents et cela nécessite par conséquent la réunion des protagonistes concernés pour une prise de décision œcuménique afin de tomber d’une cascade à l’autre. Chaque étape met le jeune sur arrêt image. Ces temps suspendus, en attente de la décision du collectif concerné, sont bien difficiles à vivre et à expliquer au « sujet » devenu l’ « objet » de ces mesures.
Pour des raisons de contrôle des dépenses, le coût des prises en charge a généré une codification spécifique à chaque unité. Celle-ci n’a d’autre fonction que celle de justifier le travail des professionnels concernés par l’enfant. Cette rationalisation du coût du travail engendre de multiples contrôles chronophages, là où il serait utile de réagir rapidement à une situation traumatique. La note me paraît bien plus élevée que si l’ensemble du processus était pensé en référence au sujet concerné. Ceci peut avoir une fonction déshumanisante mais nous sommes tellement habitués à vivre socialement ainsi, que nous n’en prenons pas nécessairement conscience. C ‘est probablement en s’identifiant au vécu des candidats à ce parcours, que nous pouvons d’abord le critiquer, peut-être trouver des professionnels de l’économie et de l’administration pour se pencher sur la question et inventer de meilleures réponses, une souplesse adaptative… Le psychanalyste ne peut changer les protocoles en tant que psychanalyste mais il peut considérer qu’il a un devoir de réflexion sociale et institutionnelle comme tout citoyen et amener à un questionnement

Conclusion
Je suis bien entendu impressionnée par l’ombre du grand Rachi qui s’est toujours recommandé de sa position de vigneron, malgré la qualité et l’importance de son travail de traduction et d’interprétation des textes du talmud et de la bible. Il avait un savoir certain. Peut-on être inscrit à la fois dans la quotidienneté simple et avoir le désir d’en savoir plus et de partager ses découvertes ? Il traduisait de façon à ce qu’un enfant de 5 ans puisse comprendre ce qu’il énonçait. Ne sommes-nous pas dans la situation de faire parvenir un sens intelligible de l’apport de la psychanalyse, à l’enfant qui tente la démarche de comprendre sa psyché, par ailleurs si complexe et non encore aboutie ?
Ce document s’inscrit dans la recherche entre le su encore brumeux et l’insu qui se cache derrière la parole, dite par l’un, entendue, par l’autre.

Dans une période de crise de confiance vis à vis de l’économie, du marché du travail, de l’avenir des populations en guerre et en transhumance, il est bon de mesurer tout ce qui reste à apprendre, à comprendre, pour être créatif.
Le travail psychanalytique avec l’enfant nous oblige à aller à la découverte d’une compréhension qui peut garder une certaine opacité. Cependant, elle va stimuler la curiosité de l’adulte comme celle de l’enfant, à la recherche de sens, celui des mots pour le dire, en gardant à l’esprit l’essentiel : cet être est en devenir et va encore remanier sa psyché dans son parcours personnel, tout au long de son avenir

Il en est de même pour nos institutions qui, aujourd’hui, auraient besoin de se mettre en langage avec une langue de la pensée, de l’élaboration, de la recherche partagée, en quête de créativité plutôt que de constats dits objectifs. Ceux-ci enferment le sujet dans un carcan diagnostique et thérapeutique où il devient objet. Or chacun sait qu’un objet est décrit par celui qui le voit, il est vu sous l’angle du regard posé sur lui, mais il y a derrière lui l’opacité, l’ombre de la lumière, une certaine épaisseur d’être, difficile à réduire à une seule dimension
Je vous laisse ainsi le poids de mes questionnements plus proches du terrain que des théories brillantes malgré ma fascination personnelle pour les esprits brillants…