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Présentation de l’association

Actualité de la psychanalyse à Troyes
28 septembre 2007
(Introduction à la Conférence de Pierre Kammerer
sur les PASSAGES à L'ACTE A l’adolescence)

Voilà maintenant près de 15 ans que des groupes de travail d’orientation psychanalytique fonctionnent à Troyes. À quoi servent-ils, quelle est leur visée ?

Pour des praticiens qui souhaitent s’orienter dans leur pratique par le moyen de la méthode analytique, quelle que soit leur formation initiale et quelle que soit leur pratique actuelle, un travail d’élaboration est en permanence nécessaire. Les groupes répondent à cette nécessité. On se donne ainsi les moyens, du moins une chance de penser sa pratique. C’est-à-dire que pour chacun des participants, il s’agit à la fois et conjointement d’élaborer sa clinique – notamment par le repérage du fondement transférentiel de la relation entre patient et praticien – et d’approfondir son rapport à la conceptualisation. Un tel travail implique de se confronter à la pensée de l’autre, à sa différence inimaginable, à son étrangeté même. C’est pourquoi il est pratiquement impossible de le mener seul.
Pourquoi cette nécessité d’élaboration constante ? parce que dans l’analyse, - comme dans toute pratique clinique, c’est-à-dire, mettant en jeu l’autre -, on a sans cesse à faire non seulement à l’altérité, mais à de l’impensé et même à de l’impensable. Impensée mais agissante, cette réalité non évidente ne se décèle qu’au moyen de traces qu’il est facile de ne pas repérer, parce qu’elles ne font pas sens à première vue. Elles passent, évanescentes, éphémères. Nous avons affaire à quelque chose qui ne se laisse pas tenir en main, qui ne se laisse pas épingler comme un papillon sur une planche, quelque chose qu’il faut attraper au vol et qui n’est jamais pareil. Et pour agir à partir de ces perceptions fugitives, il est nécessaire de répondre sur le même ton.

Ce caractère mouvant, incertain du terrain sur lequel nous avons à nous situer explique l’importance des repères théoriques. Pas de pratique sans travail théorique, pas de théorie sans élaboration clinique. Cet appel au plus singulier du singulier vaut tant pour le patient que pour l’analyste.
Or, la méthode analytique a des effets bien au-delà des murs du cabinet privé. Effets de « guérison », certes, au sens de sédation de symptômes et modification de comportements, mais aussi et peut-être surtout effets de décoinçage : remise en route de la pensée et de l’action, enrichissement des échanges. C’est pourquoi ce type de travail peut aider même en dehors de l’engagement dans une cure psychanalytique, qui relève d’une décision absolument personnelle.
Pourquoi maintenant, après avoir longuement réfléchi et malgré certaines réticences, décidons-nous cette année de rendre publique notre existence comme lieu de travail analytique à Troyes ?
Précisons d’abord ce que nous ne sommes pas. Même si nous avons bien travaillé depuis 15 ans, nous ne constituons pas une société de psychanalyse destinée à former des psychanalystes. Les petits groupes d’élaboration constituent depuis toujours une part importante de la formation des psychanalystes, mais ils sont loin d’y suffire. D’autres démarches sont nécessaires.
Il se passe aujourd’hui qu’une nouvelle organisation des structures médico-sociales tente de passer sous silence ce que la psychanalyse a découvert sous le nom de psychisme et même de « fonctionnement psychique ». Cette nouvelle organisation des prises en charge s’efforce d’ignorer le caractère vital de la parole et l’urgence de s’adresser à quelqu’un. C’est pourquoi il nous a paru important d’élargir le champ de nos activités à ceux qui pourraient s’intéresser aux modalités du travail psychanalytique.
Car nous voyons chaque jour que même dans ces circonstances difficiles, la psychanalyse peut aider, au moins pour certains.
Cette ouverture se manifeste pour le moment de trois manières : 1) des conférences comme celle-ci, ouvertes à toutes les personnes intéressées. Nous y inviterons des psychanalystes de différentes orientations, qui s’attachent à traiter des questions vives aujourd’hui
2) pour celles et ceux qui se sentiraient non seulement intéressés mais concernés, la possibilité de participer à des groupes de travail réguliers
3) un site Internet facile d’accès, permettant de s’informer des activités de l’association, d’instaurer des débats et de prendre contact.
Deux remarques encore, l’une portant sur la diversité des théories, l’autre sur la méthode de travail.
Quinze ans de travail en groupes nous ont suffisamment montré que la diversité des choix théoriques et des engagements de chacun, premièrement doit être respectée, deuxièmement n’empêche pas du tout le travail commun. À condition de se donner un objet de travail et non de viser à se reconnaître les uns les autres. Cet objet commun on peut l’appeler, en hommage à notre collègue et ami Pierre Kahn, une pensée psychanalytique c’est-à-dire, conjuguant pratique et théorie : une démarche clinique originale, apprendre à voir et à entendre, ce qui implique de compter avec ce que soi-même on fait, on dit, on pense, autrement dit, de compter avec le lien soignant soigné ; et pour chaque situation un approfondissement des repères conceptuels. Partant de cette diversité de pensées et de personnes, chacun élabore sa propre pensée psychanalytique.
Seconde précision, peut-être pas superflue : il va de soi que dans les groupes comme dans les séances, le secret doit être respecté sans restriction. Pour toute personne qui se réclame de la psychanalyse, ce secret est absolu. Il va au-delà du secret médical ; celui-ci est limité du fait qu’un autre médecin peut avoir communication des documents relatifs à tel ou tel patient. Nous avons à faire en sorte, et c’est aussi un travail, que les « cas » dont nous sommes amenés à parler ne soient pas identifiables. Il n’est pas question de livrer l’intimité des personnes qui se confient à nous aux bavardages ou aux jugements. Leur secret ne nous appartient pas et par exemple, le fait qu’ils viennent nous voir peut faire partie de ce secret. Si nous sommes amenés à dire quelque chose d’une personne, par exemple à la demande d’une équipe qui a cette personne en charge, nous aurons soin de répondre au souci de l’équipe tout en préservant absolument l’intimité de la personne et le secret de ce qui se passe entre nous et elle. Ceux qui voudraient travailler dans un groupe s’engagent par là même à respecter cette discrétion totale.
Enfin, je voudrais pour terminer rendre hommage à deux personnes qui, chacune à sa façon, ont « bien mérité de la psychanalyse à Troyes » : notre collègue Pierre Kahn, présent depuis le début de ces groupes et qui a été enlevé l’été dernier. Il souhaitait cette ouverture, il y a beaucoup travaillé, il serait content aujourd’hui.
L’autre personne à qui je souhaite rendre hommage est Mme Monique Carton. Pédopsychiatre et psychanalyste, elle a introduit l’orientation analytique dans la prise en charge des enfants de la région. Les parents et les enfants en difficulté savent ce qu’ils lui doivent, les praticiens qui se sont formés auprès d’elle le savent aussi.
Je suis heureuse de céder maintenant la parole à Pierre Kammerer, qui va vous donner un exemple de ce que la psychanalyse peut mettre en place dans un de ces cas où la vie passe les limites de l’insupportable. Auparavant, Anne Bazin, qui apprécie depuis longtemps son travail et a proposé de l’inviter, vous le présentera brièvement.