6 mai 2019

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

 

Aimer, être aimé(e) : une quête paradoxale ?

Par Thierry Schmeltz, psychanalyste

ARGUMENT : Tout en reconnaissant la nécessité de l’amour comme condition d’humanisation, Freud n’en souligne pas moins, dès le début de son œuvre, le risque de dissolution de la frontière entre le moi et l’objet. De la nécessité vitale à la menace narcissique, comment penser ce paradoxe de l’expérience amoureuse ?

 

Pour commencer, j’aurais envie de dire que l’amour c’est un peu comme la vie. Tout le monde en parle, chacun l’expérimente à sa façon, mais, au fond, personne ne sait vraiment ce que c’est. Valeur à risque pour les uns, valeur refuge pour les autres, l’amour peut tout à la fois contribuer à un accroissement de soi ou constituer, au contraire, une menace de perte de ses propres limites.

Voilà ce curieux paradoxe autour duquel je voudrais m’interroger avec vous !

Selon les moments de l’existence, nous pouvons tous faire ce constat simple : la qualité d’un amour à recevoir ou à adresser, à vivre, à éprouver et à partager connait de multiples soubresauts, souvent accompagnés de cette fâcheuse impression de ne jamais y trouver véritablement son compte. Finalement, tout se passe comme si l’amour n’était pas fait pour rendre l’homme heureux. Tout se passe comme si la quête d’amour relevait d’un processus venant témoigner du manque fondamental et irréductible de l’Être humain. Au final, il manque toujours quelque chose ou quelqu’un !

Vous savez que la question de l’amour traverse à ce point l’histoire de l’humanité qu’elle est omniprésente depuis la nuit des temps, d’abord dans les récits mythologiques, puis dans la pensée philosophique, dans le discours religieux, dans la littérature, le cinéma et plus largement dans le monde des arts et de la chanson, dans la vie de tous les jours, désormais dans les réseaux sociaux (où il est bon d’être « liké »), et, depuis qu’ils existent, dans les cabinets des psychanalystes.

Si l’amour n’appartient pas au lexique académique de la psychanalyse en tant qu’objet conceptuel, force est de constater que Freud en parle tout le temps, depuis ses premiers textes pré-analytiques (Traitement psychique (traitement d’âme), 1890a) jusqu’à ses ultimes propositions (Abrégé de psychanalyse, 1938). Nous balayons ainsi presque 50 ans d’une œuvre tout au long de laquelle Freud fait de l’amour un élément essentiel dans la constitution du lien humain et du développement de la culture. Du reste, il n’hésite pas à affirmer que les « traitements [psychanalytiques] sont des traitements par l’amour. » [Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, séance du 30/01/1907]

Ceci étant, l’amour reste une catégorie trop générique pour pouvoir être pensée dans une perspective métapsychologique. C’est ainsi que Freud forge (ou emprunte à d’autres) des notions multiples qui vont en constituer autant de déclinaisons spécifiques, dotées chacune d’une valeur propre au moment de leur élaboration et de leur intégration structurale dans le corpus, jusque dans leurs prolongements théorico-cliniques les plus aboutis et dans leurs implications pratiques.

Il y a donc de l’amour, mais pas que, derrière des termes tels que pulsion, libido, affect, psycho-sexualité, fantasme, complexe d’Œdipe (qui sous-tend le complexe de castration), investissement, rêve, narcissisme, relation d’objet, désir, auto-érotisme, expérience de satisfaction, identification, incorporation, idéalisation, principe de plaisir, transfert, etc.

Tout ce vocabulaire donne un peu le vertige (je ne sais pas s’il s’agit du vertige de l’amour !), mais il donne surtout la mesure de l’appareillage conceptuel qui a été nécessaire à Freud pour construire le premier objet de la psychanalyse, c’est-à-dire pour élaborer une théorie des psychonévroses qui sont parfois qualifier de maladies de l’amour et du désir.

Je disais en introduction que l’amour était un peu comme la vie, je pourrais prolonger en disant que penser l’amour, c’est une façon de penser le vivant et de penser le vivable, le vivable et ses aléas. Alors, s’il peut nourrir des processus créateurs et structurants, l’amour peut tout aussi bien intégrer des mouvements de destructivité. C’est une façon de dire que l’amour n’a pas que des bons côtés. Il arrive parfois qu’il sème le trouble. Je crois me souvenir que notre collègue Brigitte Martinez-Tartois nous disait ici même à propos de la passion : « Quand l’amour arrive, les ennuis commencent ! »

Les ennuis, ce pourrait être ce que Freud avait mentionné très tôt dans son œuvre, à savoir le risque de dissolution de la frontière entre le moi et l’objet, entre moi et l’autre. L’objet en psychanalyse est un concept extrêmement complexe qui reflète la multiplicité des liens à autrui pour le psychisme. L’objet est toujours corrélé à une pulsion. Pour simplifier les choses, disons que l’objet se situe dans un rapport d’altérité pour le moi, et qu’il correspond à une certaine représentation partielle ou totale de l’autre.

Dans son texte de 1929, Malaise dans la civilisation, Freud reprendra cette question des limites du moi, en relevant que dans l’état amoureux, les frontières entre le moi et l’objet menacent de s’effacer, rendant ainsi la délimitation incertaine, et amenant au passage un risque de dépersonnalisation.

Le sentiment amoureux représente donc d’abord pour Freud une menace, mais une menace potentielle pour l’indépendance et la souveraineté du moi ; ce moi qui pourrait avoir tendance à se confondre avec l’objet voire à se dissoudre dans l’objet, c’est-à-dire à régresser vers un état de confusion voire d’indifférenciation.

Le célèbre adage « L’amour est aveugle » rend bien compte de cette situation où le sujet risque de ne plus s’appartenir dès lors qu’il est exclusivement guidé par l’autre dans un lien d’emprise absolu. L’amour possède donc un pouvoir toxique lorsqu’il contribue à maintenir le sujet dans un lien étroit de dépendance à l’objet au lieu de lui permettre de construire son individualité et d’accéder à sa propre autonomie.

Freud souligne ainsi que les investissements affectifs de l’Être humain conjuguent en permanence ces deux aspects libidinaux (narcissique et objectal) reliés l’un à l’autre à la manière de vases communicants, et intégrés au sein d’une même balance libidinale [Cf. Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905].

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça signifie que plus la libido (énergie psychique des pulsions sexuelles) est déployée vers l’objet (c’est-à-dire vers l’autre), plus l’investissement narcissique (investissement de soi, ou plus précisément l’investissement de l’image de soi) s’appauvrit dans les mêmes proportions. C’est par exemple ce que l’on observe dans certaines situations de passion amoureuse, où l’objet d’amour est extrêmement idéalisé et surinvesti, l’être aimé est exalté à un très haut degré, tandis que le moi connait dans le même temps une dévaluation correspondante. Cette situation m’a fait penser aux paroles d’une célèbre chanson de Jacques Brel dont je vous cite un extrait :

« Laisse-moi devenir l'ombre de ton ombre
L'ombre de ta main
L'ombre de ton chien

Ne me quitte pas ! »

[Cf. Brel J. Ne me quitte pas]

Je trouve que ces paroles expriment avec une extrême sensibilité la manière dont le sujet est capable de se déprécier, c’est-à-dire de se désinvestir, au point d’accepter de n’être plus qu’une ombre, pire, l’ombre d’une ombre, pour ne pas perdre son objet d’amour ; en fait, pour ne pas perdre l’amour de l’objet. En cette circonstance, l’amour de l’autre devient alors plus important que sa propre valeur.

A l’inverse, plus l’investissement se retire de l’objet, plus le moi se gonfle à nouveau de libido narcissique, créant ainsi une accumulation qui peut, au-delà d’une certaine mesure, devenir pathogène. C’est en l’occurrence dans ce mouvement de retrait libidinal sur le moi que l’on peut mieux saisir certaines formes de psychoses par exemple, ou de fonctionnement paranoïaque [Cf. Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (Le président Schreber), 1911, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, pp. 263-324].

Bien entendu, une question s’impose : qu’est-ce qui vient régler ou dérègler cette balance libidinale ? Autrement dit, qu’est-ce qui vient modifier le cours de l’organisation psychique elle-même et perturber ses grands équilibres ?

Tenter de répondre à cette question n’est pas simple, ne serait-ce que parce que la partition entre le moi et l’objet n’est pas constituée d’emblée. Le moi et l’objet ne sont pas des donnés immédiates pour le psychisme qui a d’abord besoin de se construire. A l’origine, le psychisme est dans un état d’indifférenciation absolue. Son développement et son organisation résultent d’une activité précoce intense qui combine tout un champ d’expériences psychosensorielles, conscientes et inconscientes, avec les possibilités de transformation de sa structure interne. Mais ce travail psychique nécessite un certain nombre de conditions sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure.

Essayons d’abord de nous confronter à une autre question qui m’apparait assez vertigineuse (encore un vertige !), mais en même temps inévitable ; en fait, ce sont deux questions :

  • Qu’est-ce qui fait que nous ressentons le besoin d’être aimé ? Et son corollaire,

  • Qu’est-ce qui fait que nous ressentons le besoin d’aimer ?

Depuis Le Banquet de Platon, qui est un éloge à plusieurs voix de l’amour, où les convives chantent les louanges d’Eros, les philosophes n’ont cessé de s’interroger sur la nécessité d’aimer, mais le besoin d’être aimé a été assez peu discuté, et, personnellement, j’estime qu’il s’agit d’une question fondamentale, peut-être même de la question la plus essentielle pour ce qui concerne la vie en général, et la vie psychique en particulier.

En première approximation, et avant d’entrer un peu plus dans le détail, je dirais que le besoin d’être aimé pourrait être conçu comme un impératif existentiel crucial de l’ordre d’une nécessité vitale (je pèse mes mots car il s’agit ici de rien de moins que d’une question de vie ou de mort), tandis que le besoin d’aimer correspondrait d’abord à une exigence de l’appareil psychique de réguler son économie pulsionnelle en cherchant, si j’ose dire, des débouchés extérieurs, c’est-à-dire des objets pour aider à la liquidation des tensions internes qu’il ne peut contenir.

Pour le dire encore autrement, la nécessité somatopsychique de traiter les tensions inhérentes à la vie en essayant de les réduire à un niveau le plus bas possible (principe d’inertie) ou le plus stable possible (principe de constance), se présente comme l’incitatrice du recours à l’objet selon diverses modalités pulsionnelles (emprise et satisfaction), et détermine, en même temps, les conditions d’émergence du désir (via le processus d’abord hallucinatoire, puis fantasmatique).

Vous voyez combien la dimension première de contrainte relie déjà trois éléments essentiels pour la vie psychique : tension, objet, désir. C’est dire à quel point l’excitation (en tant que stimulus d’origine somatique), en réclamant l’intervention de l’objet pour aider à sa transformation (processus auto-conservatif), reçoit (dans la plupart des cas) une réponse de nature libidinale qui passe entre autre par la tendresse et la sollicitude maternelle qui sont, comme vous le savez, non dénuées de sensualité. La vie serait ainsi donnée par la rencontre entre la nécessité et l’amour, entre Anankè et Eros.

La qualité de la réponse de l’objet octroie ainsi à l’excitation une qualité pulsionnelle. L’excitation devient alors pulsion, c’est-à-dire qu’elle n’est plus simplement réduite à un foyer d’irritation somatique isolé, mais qu’elle se sexualise, qu’elle se vectorise, qu’elle s’oriente vers l’objet, qu’elle devient mouvement psychique. C’est l’ensemble de cette opération qui stimule l’activité psychique, déclenche l’activité de pensée et contribue à édifier le monde interne de chacun.

La pulsion n’est jamais première dans le fonctionnement psychique, elle est toujours le produit d’une élaboration. A la suite de quoi, le lien à l’objet et son image, à condition qu’ils soient conjointement assimilés à l’expérience de satisfaction, deviennent eux-mêmes investis libidinalement par le moi dans un processus d’intériorisation.

C’est notamment au décours de ce processus de mentalisation précoce que nous pouvons comprendre comment le besoin d’aimer bascule dans le registre du désir. Ce passage s’opère à la faveur d’expériences répétées de satisfaction, et au moment où l’objet est perçu (c’est-à-dire lorsqu’il est partiellement ou totalement internalisé, et qu’il devient à ce moment-là un contenu de pensée hallucinable).

Ainsi venu se greffer au besoin vital d’être aimé, le désir correspond désormais à cette impulsion psychique qui provoque l’hallucination de l’objet de satisfaction (et qui permet entre autre de supporter temporairement l’attente et la frustration).

Quand on parle de sexualité en psychanalyse, il faut l’entendre non au sens courant du terme, mais d’abord en tant que psycho-sexualité. Tout comme le psychisme ne se réduit pas à la seule activité de la Conscience, la sexualité ne se réduit pas à la seule activité génitale. Elle est bien plus étendue, et commence dès la prime enfance. Il s’agit en effet de toute une série d’activités physiques et psychiques (concernant différentes régions du corps) qui génèrent des sensations agréables et plaisantes telles qu’elles auront tendance à être recherchées et répétées (comme le plaisir oral de la succion par exemple).

Vous savez sans doute que les premiers objets sexuels de l’enfant s’incarnent dans les figures primordiales qui prennent soin de lui, se préoccupent de lui, le nourrissent, le protègent, et, ce faisant, lui donnent à éprouver des sensations agréables, c’est-à-dire qui éveillent en lui du plaisir. En assouvissant ses besoins et en lui apportant des satisfactions répétées, on peut dire, en suivant Freud, que la mère devient la première séductrice de l’enfant. Au fond, le sexuel c’est la prime de plaisir prise, en après-coup, sur la satisfaction des besoins.

Nous avons tous une expérience de l’amour, quelle qu’elle soit, et sans doute avons-nous gardé le souvenir de nos premiers émois. Mais ce qui s’est probablement évanoui dans les profondeurs abyssales de l’amnésie infantile et du refoulement, c’est le nouage entre l’avidité primaire (Cf. « amour impitoyable » de Winnicott) du bébé que nous avons été et les marques d’amour qui sont venues (ou pas) à notre rencontre.

Alors, pour ne pas me perdre, et vous perdre, dans les méandres complexes d’une théorie de la libido, je vous propose de nous centrer sur les motifs et sur les conditions qui viennent convoquer l’amour dans les tout premiers temps de la vie. Je voudrais ainsi tenter d’éclairer la manière dont l’amour participe (ou pas) à la constitution de l’appareil psychique.

Vous savez que dans certaines équipes de périnatalité, il y a parfois un psychanalyste qui est là pour aider à éclairer la relation mère/bébé dans des situations de venues au monde catastrophiques, lorsque par exemple apparaissent certains aspects destructeurs et mortifères dans la constitution du lien, ou lorsqu’une « rencontre esthétique » (Cf. Donald Meltzer) n’a pas pu se produire entre le bébé et ses parents, en premier lieu entre le bébé et sa mère.

Lors de la conférence précédente, notre collègue Christine Salas nous a rappelé que l’instinct maternel n’existait pas, mais que l’amour maternel se construisait ou pas en fonction de déterminants inconscients appartenant à l’histoire de la mère.

Il est vrai que l’arrivée d’un enfant se fait dans un environnement psychique qui lui préexiste et qui va, sinon déterminer son destin, du moins, impacter les voies de son développement ; lesquelles dépendront bien entendu en grande partie de la constitution et des capacités propres de l’enfant ainsi que de la qualité et de la richesse de son activité interne.

D’un certain point de vue, la naissance induit une situation assez paradoxale en tant qu’elle représente un évènement naturel de la vie humaine, généralement joyeux, en même temps qu’elle est parfois appréhendée ou vécue comme une expérience traumatisante qui appelle toute une série de questions que je vais essayer de déplier :

Le bébé a-t-il été pensé, parlé, désiré, attendu ?

Dans quel contexte psychique a-t-il été conçu ?

Comment a-t-il été imaginé, porté, supporté, considéré durant la gestation ?

Comment les parents se le sont-ils fabriqués dans la tête en même temps que la mère le fabriquait dans son corps ?

Comment la mère a-t-elle ressenti et interprété toutes les variations sensorielles et les différentes impressions corporelles pendant la grossesse ?

Comment s’est-elle inquiété pour elle, pour son bébé, et qu’a-t-elle pu en partager avec le père ? Avec d’autres personnes ?

Comment a-t-elle appréhendé et vécu son accouchement ?

Comment a-t-elle surmonté cette expérience singulière qui exige d’abandonner la représentation-figuration d’un corps pour deux au profit de l’avènement de deux corps séparés, le sien et celui de son bébé ?

A quelles manifestations psychiques a-t-elle été confrontée ?

Comment a-t-elle été accompagnée durant cette épreuve ?

Comment le couple parental s’apprête-t-il à accueillir l’enfant ? Etc.

J’évoque toutes ces questions pour nous rappeler que la naissance d’un enfant n’est pas une mince affaire, que l’annonce d’une grossesse ne va pas toujours de soi, et qu’elle peut engendrer un véritable bouleversement, tant pour la mère et son couple que pour le nourrisson à venir. Cette grossesse peut susciter beaucoup d’inquiétudes et de remises en cause, et parfois, bien qu’en de rares occasions, provoquer des phénomènes de décompensation plus ou moins sévères.

Au-delà des représentations dont l’enfant a pu être l’objet dans la tête tant de la mère que du père, et des expériences vécues in utero, il faut dire que naître est pour le nouveau-né une véritable épreuve. Je voudrais insister sur cette situation, car il s’agit en effet pour le bébé de rien de moins que d’une expérience inaugurale de perte inimaginable, et je crois que nous sommes fondés à penser que cette expérience singulière conjoint trauma et angoisse.

Bienvenue chez les humains !

Présenter les choses comme cela a certes un côté un peu effrayant, mais je mets volontairement l’accent sur les retentissements pénibles et douloureux d’une expérience qui est d’abord une expérience de séparation traumatique.

Alors, disons-le sans détour : un bébé n’est pas mis au monde, il est littéralement expulsé d’un monde qui, jusque-là, était pour lui relativement sécure, stable et constant, et le voilà transplanté dans un monde étranger, potentiellement inquiétant, pour vivre tout à coup un exil incertain.

Essayons d’en prendre la mesure, même si nous n’avons pas accès à ce qu’éprouve psychiquement le bébé : À la naissance, c’est-à-dire au sortir, parfois tumultueux, du corps-enveloppe de la mère, le bébé entre directement en contact avec un monde qui constitue pour lui une réalité totalement nouvelle, et qui représente un environnement inconnu, inattendu et surprenant d’étrangeté.

Du fait de sa prématurité développementale, il se trouve totalement démuni et dépendant de son environnement pour sa survie tant physique que psychique. Ceci implique que son essence d’Être humain autant que la reconnaissance de son existence d’Être vont dépendre de la qualité des réponses de l’environnement.

En même temps, le bébé fait l’expérience d’une corporéité tout à fait inédite. Jusque-là, il connaissait un milieu liquidien protégé, chaud et confiné, où il était alimenté en flux continu (et j’insiste sur le « flux continu »). D’un seul coup, le voilà qui débarque dans un milieu aérien qui exige de lui de nouvelles fonctions corporelles. Il doit désormais utiliser un organe respiratoire qui déclenche des capacités pulmonaires jusque-là ignorées, au risque de l’asphyxie. Cet appareil respiratoire, qui est aussi à l’origine des premières impressions olfactives, libère tout un dispositif phonatoire d’où va émaner de l’intérieur du corps les premières émissions de sons, nouvelles elles aussi.

Dans ce nouveau monde ouvert sur l’infini, le bébé est soumis aux lois encore méconnues de la pesanteur, et « découvre » qu’il est affublé d’un corps qui l’expose aussitôt à tout un champ d’impressions et d’expériences sensorielles, proprioceptives, cénesthésiques et kinesthésiques tout à fait originales. Il devient sensible aux écarts de température, découvre de nouvelles expériences auditives, et sera bientôt confronté au foisonnement spectaculaire d’impressions visuelles incessantes qui représentent autant d’épreuves effractantes pour un moi encore immature.

Et pour la première fois, le corps de ce bébé va être regardé, parlé, touché, palpé, caressé, embrassé, examiné, piqué, gratté, étiré, porté, lavé, recouvert…

En l’espace de quelques instants, le nouveau-né est précipité dans un changement radical d’environnement et de milieu d’expériences. Là où, dans le ventre maternel, il flottait comme un seul homme, le voilà maintenant manipulé de toutes parts. Ce changement constitue pour le bébé un temps primitif dont on peut présumer que le vécu somatopsychique contient des aspects éminemment traumatogènes.

Dans ce même mouvement, la faim constitue une sensation nouvelle et douloureuse. Elle expose désormais le bébé à la dimension des rythmes. Contrairement au modèle antérieur de l’alimentation en flux continu, cette rythmicité ouvre sur des périodes d’intermittences et à une « conscience » du temps où le manque peut apparaître.

A condition qu’elle soit accompagnée de manière adéquate, cette expérience de manque va être déterminante pour l’éveil psychique du bébé à la différenciation moi/non moi et à la représentation de la dépendance.

L’air de rien, venir au monde est une affaire complexe et éprouvante pour le bébé. Et nous sommes tous passés par là ! Sans en avoir aucun souvenir, mais pas sans en avoir gardé des traces ! Nous savons que la question des traces est centrale pour celui qui se présentait comme un « archéologue de l’âme » dans les Etudes sur l’hystérie (1895).

Pour Freud, en effet, rien de ce qui est une fois advenu ne disparait, tout est conservé dans la vie psychique, y compris à titre de vestige irreprésentable, et tout est susceptible de réapparaître, d’une façon ou d’une autre, notamment au sein des phénomènes de transfert mobilisés dans la cure psychanalytique.

L’un des fidèles disciples de Freud, et l’un des premiers psychanalystes à avoir montré l’importance de la relation mère-enfant dans l’évolution de la vie psychique, Otto Rank (Rosenfeld) s’est appuyé sur l’expérience de la naissance en tant qu’expérience inaugurale de séparation pour élaborer le modèle du premier traumatisme que subirait tout être humain, et qui constituerait la matrice de toutes manifestations d’angoisse de séparation et de perte ultérieures.

Rank voulait aussi attribuer une base biologique à l’inconscient, et donner, à partir de ce noyau traumatique (de la naissance), un point d’ancrage au fantasme de retour au ventre maternel. [Le traumatisme de la naissance (1924), Payot] Cf. Le Banquet et le discours d’Aristophane où il est question de retrouver sa « moitié ».

Sans souscrire à la thèse de Rank sur la question de l’angoisse de séparation, Freud évoquait cependant quelques années plus tôt le même fantasme nostalgique de paradis perdu en reprenant une formule populaire disant que « L’amour est le mal du pays ». [L’inquiétant (1919), OCF, XV, PUF, p. 180 ; L’inquiétante étrangeté, Folio, p. 252]. D’une certaine façon, cette expression ramassée dit quelque chose de l’après-coup mélancolique du désir de retour à la terre d’origine, à la maison-mère.

On oublie souvent que le fantasme de retour à la vie intra-utérine appartient à la série des grandes structures fantasmatiques typiques inconscientes qui organisent la vie psychique de tout individu, indépendamment des expériences personnelles.

On retrouve ce fantasme d’occuper à nouveau le corps maternel dans le cas de « L’homme aux loups », publié en 1918, où il s’agit entre autre pour le patient de fuir le monde et de renaître (à l’appui surtout d’un désir homosexuel pour le père, (Cf. pp. 402-403). [Freud S. (1918b [1914]), Extrait de l’histoire d’une névrose infantile, in Cinq psychanalyses, Paris, PUF, pp. 325-420]

A la fin de sa vie, dans son ultime travail de récapitulation des apports de la psychanalyse, Freud y fait encore allusion à propos de la fonction du sommeil pour le rêve : « On peut dire à bon droit qu’avec la naissance est apparue une pulsion consistant à retourner à la vie intra-utérine, qui a été abandonnée, une pulsion de sommeil. Le sommeil est cette sorte de retour dans le ventre maternel. » [Abrégé de psychanalyse (1940a [1938]), OCF, XX, PUF, p. 256 ; PUF, pp. 29-30].

Tout cela m’amène à souligner que l’éprouvé de la vie fœtale reste le prototype inconscient d’une relation fusionnelle et symbiotique qui marquera la vie psychique de chacun tout au long de l’existence, et que l’on va parfois retrouver dans certaines dynamiques transférentielles au cours de la cure.

Je me demande d’ailleurs si l’amour de transfert ne prend pas ses racines fantasmatiques sur ce terreau nostalgique de la vie intra-utérine.

Ce que je voudrais faire ressortir derrière ce fantasme originaire, c’est précisément le besoin de protection et de sécurité du nouveau-né, lié notamment à l’état de détresse dans lequel il se trouve à la naissance du fait de son impuissance et de sa position de totale dépendance, et qui passe par le besoin d’être aimé.

Je vous disais que Freud n’avait pas suivi les propositions d’Otto Rank à propos de l’angoisse de séparation, et il va en faire la critique dans le livre qu’il fait paraître en 1926 : Inhibition, symptôme et angoisse.

Non seulement, Freud souligne la relativité individuelle du traumatisme qui, du coup, fait varier l’intensité de l’angoisse, et modifie par conséquent les destins psychiques de chacun, mais il réaffirme ce qu’il avait déjà mentionné plus de trente ans auparavant dans « l’Esquisse » (1893), à savoir la nécessité d’une « action spécifique » de l’être humain secourable proche, ce qu’il va appeler le Nebenmensch.

A ce stade, ce n’est pas la personne en tant que telle qui compte, mais la fonction qui importe, car la personne n’est pas encore constituée en tant que totalité (individualisable, séparable) aux yeux de l’enfant. Autrement dit, pour le nourrisson, ce n’est pas d’abord l’absence de l’objet en tant que telle qui suscite le premier danger, mais la non réponse de l’environnement aux besoins qu’il ressent et qu’il vit comme une expérience d’autant plus pénible qu’il ne sait pas si ses besoins vont pouvoir être satisfaits et, surtout, s’il va pouvoir y survivre. Plus que l’absence, le véritable danger pour le nouveau-né serait plutôt la confrontation à l’expérience psychique du néant et, par conséquent, à l’éprouvé d’une angoisse catastrophique et d’un désespoir absolu.

C’est ici que Freud signe son désaccord avec Rank en marquant la différence décisive avec l’angoisse de séparation, car dit-il, « lors de la naissance, il n’y avait pas d’objet [une personne constituée] dont on pût ressentir l’absence. L’angoisse restait la seule réaction qui se produisît. Par la suite, des situations de satisfaction répétées ont créé cet objet, la mère, qui subit, dans le cas du besoin, un investissement intense et qu’on pourrait appeler « nostalgique ». C’est à ce nouvel état de choses qu’il faut rapporter, pour la comprendre, la réaction de douleur. » (Cf. p. 100).

Autrement dit, tout en reconnaissant l’existence de l’angoisse du nourrisson comme l’indice de son état de détresse psychique, Freud présume de surcroît une douleur au moment où l’objet se constitue. Cette douleur (que l’on pourrait qualifier de dépressive) serait liée à la perception de la disparition de la mère de son champ de vision ; disparition qui suscite chez le bébé la crainte de ne jamais plus la revoir aussi longtemps qu’il n’a pas acquis une sécurité de base dans la confiance en son retour (Cf. p. 99).

Cela m’a rappelé l’histoire de Natascha Kampusch. C’est une jeune autrichienne, aujourd’hui âgée d’une trentaine d’années, et qui a fait paraître en 2010 le récit de ce qu’elle a vécu après avoir été enlevée et séquestrée dans une sorte de bunker construit au fond d’une cave. Sa captivité a duré plus de huit ans, 3096 jours exactement. Elle montre comment sa survie psychique avait tenu pendant toutes ces années à la nécessité « d’aimer » son ravisseur qui représentait pour elle le seul lien humain avec lequel elle pouvait être en contact, et qui était le seul garant du maintien de son existence. D’une certaine façon, on peut dire qu’elle l’avait investi à la manière d’un Nebenmensch pour ne pas sombrer dans un désespoir définitif. [3096 jours, Lattès, 2010]

C’est une banalité de dire que la qualité de l’accueil affectif que reçoit le bébé à sa naissance est essentielle à sa survie. Sans doute que le principal traumatisme réside dans le non-accueil, la non-rencontre, la distorsion émotionnelle et relationnelle, les ratages et tous les malentendus qui peuvent se produire à ce moment crucial.

Le principe est simple : pour qu’un sujet advienne, il faut qu’il se sente au moins le droit d’exister. Le bébé semble le savoir intuitivement, car ce qu’il cherche en premier lieu, c’est un regard humain, en particulier celui de sa mère, qui puisse le reconnaître, le vitaliser et l’investir. C’est dire que le premier geste d’amour passe par la rencontre et l’accordage des regards. Ce premier regard est capital, parce que c’est celui qui donne la vie, et il donne la vie quand il est accompagné d’une parole d’assignation qui atteste l’inscription du bébé en tant que sujet. Cela passe parfois par des paroles de confirmation telles que : « Qu’est-ce que tu es beau mon bébé, je n’ai jamais vu un bébé aussi adorable, avec d’aussi jolis yeux et un si beau sourire, tu es le plus mignon de tous les bébés de la Terre, je t’aime déjà tellement, etc. »

Illustration 1 : Cf. Les travaux sur la dépression anaclitique du bébé et l’hospitalisme de René Spitz1, où faute d’une disponibilité psychique suffisante des infirmières, et donc de « provisions affectives » suffisantes, les nourrissons se laissaient dépérir.

Illustration 2 : Cf. Frédéric II de Hohenstaufen2.

C’est une figure médiévale qui a régné sur le Saint-Empire romain germanique au XIIIème siècle. Dernier empereur de la dynastie des Hohenstaufen, il fut roi de Germanie, roi de Sicile et roi de Jérusalem. C’était un érudit, féru de poésie, de mathématiques et de sciences naturelles qui parlait couramment plusieurs langues, et qui s’intéressait aussi bien à l’astronomie qu’aux beaux-arts. Avant-gardiste pour son époque, c’est le premier qui va autoriser la dissection des cadavres humains (bien avant donc François-Xavier Bichat) pour aider la médecine à mieux connaitre l’anatomie ; ce qui lui vaudra l’hostilité farouche de la papauté et son excommunication.

Un jour, il voulut faire une expérience pour connaitre l’origine des langues, et il confia des nouveau-nés à des nourrices à qui il donna consigne de pourvoir aux besoins alimentaires et d’hygiène des enfants, mais sans jamais leur adresser la parole. Par cette méthode, il voulait découvrir la langue naturelle qui serait spontanément parlée par les enfants non soumis à une influence langagière préalable. Résultat de l’expérience : non seulement, aucun des enfants ne prononça le moindre mot, mais aucun ne survécu à ce régime de privation de paroles.

Tout comme il n’existe pas de bébés qui parlent sans qu’on leur ait d’abord parlé, il n’y a pas d’Êtres humains qui puissent se donner une représentation d’eux-mêmes sans en passer par un autre. Aussi notre bébé va-t-il chercher à construire sa propre image, à créer et investir narcissiquement une image de soi à partir de ce qu’il découvre, et bien sûr à partir de ce qu’il imagine, dans le regard de l’autre.

Le regard de l’autre c’est un lieu de rencontre. C’est un premier contenant psychique, un premier espace d’interactions où peut se construire la sécurité de base du bébé, et où peut se consolider son sentiment continu d’existence, en appui sur les premières images mentales créées au décours des expériences ressenties comme bonnes ou mauvaises.

Et là, je pense que Freud n’a peut-être pas accordé suffisamment d’importance à la relation spéculaire dans le lien précoce entre le bébé et sa mère.

Car il a toujours soutenu que « le sein nourricier de [la] mère est pour l’enfant le premier objet érotique » (Cf. Abrégé de psychanalyse, ibid., p. 59). Pour ma part, j’incline à penser que le précurseur libidinal est moins le sein que le regard maternel, car le regard n’est pas qu’un miroir réfléchissant, il est porteur d’un message habité qui, de mon point de vue, est le premier annonciateur de l’objet.

N’est-il jamais arrivé de tomber amoureux d’un regard ? Le coup de foudre ne trouve-t-il pas son origine dans le premier croisement d’un regard ?

Toujours est-il que notre bébé va progressivement découvrir son ambivalence à l’égard de l’objet tout en renforçant le sentiment de son identité propre. Mais il se convainc que sa mère lui est indispensable, et qu’il peut d’autant moins se passer d’elle qu’elle est aussi la plus belle maman du monde. Vous entendez ? Œdipe est déjà derrière la porte ! Il attend son heure pour déloger Narcisse !

D’une certaine manière, la nécessité vitale d’un accordage adéquat entre le moi et son objet dans les tout premiers temps de la vie est au fondement du processus analytique dans la rencontre entre le patient et son analyste. A ce moment-là, toute la question de l’amour et de ses avatars va pouvoir se déployer dans la cure et s’élaborer dans la chair sensible du transfert, mais à une condition, à la condition qu’ait pu d’abord s’établir un transfert de base, analogon de la sécurité de base du nourrisson.

Nous avons vu que le processus d’humanisation repose sur un certain nombre de conditions, et principalement sur la déclaration d’amour que l’environnement d’accueil fait au bébé. Cet amour a une fonction précise : celle de sexualiser la structure indispensable au maintien de l’organisation auto-conservatrice du moi, c’est-à-dire de faire liant entre corps et psyché.

Il faut dire que la pulsion d’autoconservation a une autonomie limitée, qu’elle ne saurait perdurer longtemps par elle-même (ce que nous avons vu avec le phénomène de l’hospitalisme), et que la survie et la conservation de l’individu et de l’espèce requiert un apport libidinal indispensable. Et cet apport s’appelle amour !

Le moi, ou plutôt son ébauche, est donc investi de libido dès le début de la vie et reste investi en permanence. Cet investissement originaire qui constitue le narcissisme peut, dans un second temps, être défléchi sur les objets extérieurs. Mais comme je le rappelais tout à l’heure, l’objet n’est pas indépendant de la pulsion. Il en est consubstantiel et apparaît comme un détour nécessaire pour atteindre la subjectivité. Autrement dit, le moi, le narcissisme, a besoin de l’objet pour se construire, pour se révéler et pour s’affirmer.

Pour Freud, l’objet est une pure contingence au service du narcissisme. L’amour, d’ailleurs, ne serait qu’une affaire de narcissisme ! Et il aborde une autre question épineuse (qui va peut-être finir de briser nos dernières illusions) qui est la suivante : « D’où provient donc en fin de compte dans la vie psychique cette contrainte de sortir des frontières du narcissisme et de placer la libido sur les objets ? » [Freud S. (1914), Pour introduire le narcissisme, in La vie sexuelle, Paris, PUF, p. 91]

En somme, Freud se demande qu’est-ce qui nous impose de quitter la position narcissique primitive et nous fait obligation d’aimer ; en d’autres termes, qu’est-ce qui nous pousse à aller de l’avant ?

Il nous dit que ce sont les limites propres du moi à supporter la tension qui l’incite à investir l’objet. L’objet est ainsi vu comme un remède pour soulager le moi des effets d’accroissement de son investissement libidinal propre qui, au-delà d’une certaine mesure, pourrait endommager le moi et engendrer des troubles psychopathologiques.

Au cours de son intervention, ici même il y a quelques mois, notre collègue Anne Delafosse-Bazin interrogeait une formulation un peu énigmatique de Freud dans son texte sur le narcissisme. Cette formule est la suivante : « Un solide égoïsme préserve de la maladie, mais à la fin l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade, et l’on doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer, par suite de frustration. » [Ibid., p. 91]

Je crois que cette formulation un peu obscure exprime le paradoxe économique de l’amour qui, d’une certaine manière doit servir deux maitres. D’abord investir l’égoïsme auto-conservatif du moi pour lui permettre de survivre en lui donnant une qualité libidinale structurant le narcissisme, puis investir l’objet pour protéger le moi narcissique de la maladie (notamment psychonévroses ou somatisations).

Ainsi donc, l’amour se présente-t-il comme un sérum de vie, garant d’une bonne santé psychique, là où l’incapacité d’aimer ou l’impossibilité d’aimer constituerait un risque toxique et le danger de tomber malade.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Freud a fait de la capacité à aimer l’un des buts majeurs de la cure, c’est-à-dire qu’il cherchait à favoriser chez ses patients le développement des investissements libidinaux vers l’objet, vers l’autre et le monde extérieur. [Cf. Freud S. (1937c), L’analyse finie et l’analyse infinie, OCF, XX, Paris, PUF, pp. 13-55]

A ce stade, nous pourrions alors nous demander si une bonne santé psychique pourrait suffire à exonérer l’Homme des malheurs de la vie et à le rendre heureux, mais je laisse cette question ouverte à la méditation de chacun.

Je voudrais terminer en citant le court extrait du poème de Heinrich Heine (1797-1856) que Freud rapporte à titre d’illustration des fluctuations libidinales entre le moi et l’objet et de leurs incidences sur l’équilibre psychique du narrateur :

« C’est bien la maladie qui a été l’ultime fond

De toute la poussée créatrice ;

En créant je pus guérir,

En créant je trouvai la santé. »

[Heine H., Chants de la création, in Nouveaux poèmes, Paris, Gallimard, 2006, p. 127]

 

Je vous remercie de votre attention.

Thierry Schmeltz, 6 mai 2019

1 René Arpad Spitz (1887-1974)

Psychiatre et psychanalyste américain, d’origine hongroise, né à Vienne. A fait une analyse avec Freud, et devient membre de la Société psychanalytique de Vienne. Il s’installe à Paris en 1932 avant d’émigrer aux Etats-Unis en 1939.

Ce qui l’intéresse, c’est la clinique du nourrisson. Durant son séjour à Paris, il enseigne les théories psychanalytiques et le développement de l’enfant à l’Ecole normale supérieure, et anime des séminaires, auxquels participera notamment Françoise Dolto. Ses recherches expérimentales, inspirées des travaux de Sandor Ferenczi et de Melanie Klein en particulier, vont avoir un impact important sur les pratiques d’hospitalisation des enfants en bas-âge. Il va en effet montrer comment les altérations de la relation primaire du bébé avec sa mère ou son substitut (carences affectives précoces) peuvent conduire à un tableau de « dépression anaclitique » voire au syndrome d’ « hospitalisme ». Cf. De la naissance à la parole. La première année de la vie, Paris, PUF, 1968.

2 Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250)

L’Empire romain germanique est à l’époque un vaste territoire qui comprend toute l’Europe centrale et une partie de l’Europe occidentale, en s’étendant de l’Italie jusqu’aux Pays-Bas.