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13 novembre 2017

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

La Psychanalyse, un art nouveau pour créer du lien social

Par Marie-Pierre Simon-Koch, psychanalyste 

  

Cette conférence est dédiée à Claude Dorgeuille, psychanalyste de l’association Lacanienne Internationale, à David Garbarg, pianiste, professeur au conservatoire de Paris et à Pierre Koch mon époux.

La semaine dernière, le procureur de la République de Troyes a fait une conférence sur la justice pénale en France. Il nous a dit «  la justice en France est mal perçue parce qu’elle est mal connue ». Je pense que c’est un peu la même chose pour la psychanalyse. J’ai donc choisi de vous présenter quelques repères fondamentaux de la psychanalyse, en un temps court, 30mn. Aussi, mes collègues auront le temps ensuite de revenir sur certains points. Et puis bien sûr, nous pourrons échanger autour de vos questions.

Que peut la psychanalyse aujourd’hui ? Je vous propose de revenir un instant sur la psychanalyse d’hier, celle de Freud.

En 1885, Freud a 29 ans, il assiste aux leçons du mardi à la Salpêtrière. Le professeur Charcot présente des cas cliniques ; ce sont des patients qui souffrent de symptômes tels que la paralysie motrice, la cécité, des crises convulsives, bref, un ensemble d’affections somatiques sans cause organique. Ces symptômes ont la particularité de disparaître sous hypnose. A partir de ces observations, Freud va avoir l’intuition d’un mécanisme entièrement psychique : le refoulement. 

Le refoulement, c’est une traduction de plusieurs termes en allemand : Verdrangung qui veut dire pousser dehors et Unterdruckung mettre dessous. Qu’est ce donc qui est mis à l’écart ? Ce sont des pensées nous dit Freud. Des pensées, des représentations jugées inacceptables, impossibles, interdites insoutenables subissent ce mécanisme de refoulement et sont rejetées, réprimées, oubliées. 

A l’époque de Freud, à Vienne en 1900, ce qui est massivement refoulé, c’est le sexuel. Stefan Zweig nous décrit ce « Monde d’hier ». Freud va nommer cette énergie sexuelle, il l’appelle la libido. Quand il publie en 1905 «  Trois Essais sur la Théorie de la sexualité », le sexuel au sens large est présenté dans sa dimension psychique, autre que morale ou biologique, comme venant structurer le psychisme. C’est ce qui va faire scandale, mais qui va aussi profondément modifier les comportements et les méthodes éducatives.

Freud opère donc un premier ajustement : il rapproche le mal être individuel du mal être social, il relie le refoulement individuel au refoulement social. C’est encore aujourd’hui le coté dérangeant de la psychanalyse. 

Mais aujourd’hui ce n’est plus tout à fait comme hier. Les affections psychiques, les inhibitions, symptômes, angoisses sont l’objet de divers traitements médicaux : il y a les substances psychoactives (neurodépresseurs, anxiolytiques, régulateurs divers). Il y a aussi les neurosciences qui étudient le fonctionnement du système nerveux, à l’échelle moléculaire et aussi au niveau des zones de fonctionnement. On aurait mis en évidence, dans les conduites suicidaires, une zone du cerveau sensible au rejet social. Une hormone, l’ocytocine , serait liée au sentiment de confiance, de sérénité et d’empathie.

Et puis il y a l’apport d’autres techniques thérapeutiques comme les thérapies comportementalistes ou systémiques par exemple. Il y a enfin divers courants psychanalytiques qui se sont développés, ceux autour des travaux de Jacques Lacan, qui associent les lois de la parole et du langage avec le fonctionnement de la structure psychique. 

Aujourd’hui, ce n’est plus comme hier, le sexuel n’est plus caché, refoulé. Il est présent, parfois même trop présent ?

 

Alors quelle souffrance psychique aujourd’hui ? Quels symptômes, inhibitions, angoisses ?

La dépression, la déprime, la dévalorisation de soi, les addictions aux substances psychoactives illicites (cannabis, cocaïne, héroïne, extasy) l’alcoolisme, les troubles alimentaires (anorexie, boulimie), les troubles du comportement, l’hyperactivité, le stress, les troubles autistiques, la souffrance au travail, le harcèlement, le burn out…En France, c’est 10 000 morts par suicide chaque année, soit 3 fois plus que par accident de la route, 200 000 tentatives de suicide.

Face à cette souffrance, peut-on évoquer les nouvelles exigences sociales aujourd’hui ?

Notre société moderne est structurée autour d’un modèle déterministe rationnel. On veut que tout soit prévisible, l’organisation sociale et économique est dirigée, organisée autour de la prévisibilité. On veut prévoir la météo, la rentabilité, les comportements des consommateurs, les aléas, le marché, la croissance, etc…. ce modèle structuré autour de la rationalité, depuis le siècle des lumières, enchaîne les causes et les effets, calcule tout, développe pour cela des logiciels très sophistiqués . L’imprévu, le non modélisable, le non maitrisable est perçu comme un risque, une gêne, une menace. Pour assurer la productivité, soutenir la croissance, notre développement économique et social nécessite un progrès constant de notre niveau de vie « pour votre confort et votre sécurité ». 

Notre modernité, c’est aussi la liberté. La liberté individuelle, qui a ses exigences, ses impératifs. L’individu doit être libre de ses choix, doit pouvoir exercer librement ses droits. L’autonomie est un horizon dès le plus jeune âge. A ceci près que le terme autonomie vient du grec auto-nomos qui veut dire avoir la loi, la loi symbolique bien sûr, avoir la loi en soi et non pouvoir faire seul, sans rien demander à l’autre. La loi en soi, c’est être capable de savoir se comporter en société comme il convient, sans nécessairement avoir peur d’être vu ou sanctionné, d’être pris par la caméra. 

On est donc en présence d’injonctions contradictoires : d’un coté le rejet de toute subjectivité qui viendrait perturber le déroulement sans faille des process, et de l’autre, l’affirmation de soi, de sa singularité. Ce tiraillement a des effets, au niveau social comme au niveau individuel. Au niveau social, les tensions par la concurrence exacerbée, le toujours plus, le formatage des salariés, les impératifs de rentabilité, la gestion des ressources humaines ne sont pas sans lien avec la crise des valeurs, le refus de l ‘autorité, l’exclusion, la radicalisation, la fracture sociale.

Au niveau individuel, le stress, l’anxiété, le mal être, le découragement, la mise en échec permanente, l’isolement, la dépression. La dépression est désormais reconnue comme symptôme social.

 

Le deuxième ajustement que fait la psychanalyse, c’est de considérer que ces symptômes, inhibitions ou angoisses, ne sont pas que des dysfonctionnements du comportement, ils sont un mode d’expression du désir inconscient, au même titre que le rêve, le lapsus, l’acte manqué.

Le désir inconscient. Le mot inconscient fait penser à fou, inexplicable, inattendu, incontrôlable, irresponsable. C’est une traduction du mot allemand unbewust. En allemand ce terme un-bewust, négation du verbe savoir, se traduit par non-su.

Mais nous avons raison de penser que le fonctionnement du psychisme ne se limite pas au rationnel. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » a dit Pascal. L’amour, le désir, la mort font notre condition humaine ; Ce qui fait notre humanité, ce n’est pas la toute puissance, ce n’est pas d’être irréprochable, de ne rien devoir à personne. C’est plutôt nos manques, notre fragilité, notre ignorance, notre faille qui fondent notre humanité. 

La psychanalyse ne veut pas uniquement expliquer « pourquoi votre fille est muette ». Elle veut la faire parler. Elle donne la parole au sujet pour que se révèle à lui la vérité de son désir. On pourrait résumer une cure analytique par cette formule de Lacan : «  moi, la vérité, je parle ».

 

La psychanalyse fait donc un troisième ajustement. Ce désir inconscient, la psychanalyse le reconnaît, mais elle fait plus, elle lui suppose un sujet.

Une psychanalyse c’est donc un travail d’ajustement entre le symptôme et le social. Marcel Gauchet nous dit « les ajustements réussis procèdent toujours d’un héritage dont on arrive à donner une version accommodée aux circonstances nouvelles » (Le Malheur Français 2017). Ce travail d’ajustement se fait par la parole car cet héritage est un héritage de discours. L’essence même de notre société, c’est sa structure de discours. Le lien social d’abord est un lien de langage. 

Freud puis Lacan et beaucoup d’autres anthropologues ou sociologues se sont intéressés à rapprocher la structure du langage avec la structure psychique.

Le langage comme le social préexiste au sujet, il structure nos pensées, nos désirs. Le refoulement qui écarte et rejette certaines pensées, est aussi identifié comme mécanisme psychique qui concourt à la civilisation. A l’inverse, la guerre serait un moment de déchainement des pulsions. 

Quelques mots pour finir sur cet héritage social structuré par le langage.

Quelles sont ces lois du langage par lesquelles opère la psychanalyse ? 

Le langage, nous dit Saussure, fonctionne par pure opposition. Lorsqu’un terme est prononcé, son opposé est aussi présent, en même temps. Ainsi quand on dit la psychanalyse aujourd’hui, on peut entendre qu’hier est présent aussi, c ‘est donc par là que j ‘ai commencé. Ceci se produit pour chacun de nous au fil du discours, ce qui fait que parfois nous ne nous comprenons pas, ou nous entendons chacun des choses différentes. Une analyse est un travail sur l’équivoque des mots- des maux ? à partir desquels se dit, à demi mots la vérité du sujet. Et c’est dans ces écarts là qu’un sujet attend d’être reconnu par un autre sujet. L’émotion se crée par la parole, le langage du corps en est une expression bien réelle. 

La poésie, dans son art de la métaphore, de la rime, de l’équivoque, du rythme, fait surgir des significations, crée des émotions, dévoile à demi mot la vérité du désir, tout comme le fait entendre une interprétation d’une pièce de musique, de théâtre, un tableau. Ce sont aussi les modes d’interprétation de l’analyste. 

Dans l’inconscient, les opposés sont présents en même temps, ce qui nous amène à dire aussi que l’inconscient ne connaît ni le temps ni le principe de contradiction. Si quelqu’un nous dit « ce n’était pas ma mère » c’est certainement quelque chose qui la concerne puisque c’est présent dans son discours, y compris sous la forme de la dénégation. Il en est de même pour les images des rêves, les lapsus, les oublis : quelque chose cherche à se faire entendre. L’inconscient est aussi le lieu de l’ambivalence des sentiments que Freud a repéré comme « complexe ». On peut aimer son père et désirer sa mort ( complexe d’Œdipe), on peut faire confiance à son employé et le surveiller de près. On peut faire confiance à sa femme et généralement la surveiller de près, tout cela est complexe ! 

 

J’espère que maintenant la psychanalyse vous est mieux connue. Elle est partie de la science des rêves publiée en 1900, pour devenir science de l’inconscient structuré par les lois de langage. Aujourd’hui la psychanalyse se réfère à la topologie. La topologie (du grec topos : le lieu et logos : la raison) c’est la science des lieux. Le corps comme lieu du symptôme et de la jouissance, l’inconscient comme lieu du refoulement. La topologie opère par déformations, par transformations continues, ce qui est le propre de la dimension du symbolique : transformation dans le langage par la parole, transformation dans le corps par les émotions, les affections, les symptômes. Elle procède de concepts tels que la limite, le voisinage, les nouages.

Pour conclure, je vais vous citer Françoise Labridy, une collègue venue nous parler de la psychanalyse comme un repère pertinent dans l’entrainement sportif de haut niveau. Elle nous a dit cette phrase charmante «  la psychanalyse, un art de desserrer les nœuds sans les couper ».

 

Je vous remercie et vous laisse la parole pour vos commentaires et vos questions.

 

De nombreux échanges ont eu lieu avec le public. Il a été question :