Rêve et inconscient

22 février 2016

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

 

Introduction 

« Cette nuit j’ai fait un rêve bizarre » ; ainsi commencera la séance, puis le rêveur ajoutera « c’est peut-être parce que je suis allée hier voir ma grand-mère à la maison de retraite que j’ai rêvé d’elle ; il me semble qu’elle était en danger ; je ne sais plus très bien ; peut-être qu’elle était menacée par des cambrioleurs ; c’était très clair juste après le rêve, et évident pour moi que je pourrais vous le raconter…Mais voilà le matin, impossible de me rappeler vraiment ; il ne m’en reste qu’un petit bout ».

Chacun de nous pourra reconnaitre ce sentiment mêlé de familier et d’inquiétante étrangeté qu’éprouve le rêveur à son réveil ; familier de par les restes diurnes qu’utilise, comme beaucoup d’autres, ce rêve fictif (la visite à la grand-mère) mais étrange de par l’énigme qu’il représente malgré tout. En effet, la censure, partiellement levée pendant le sommeil, moment où la vigilance est moindre, n’aura de cesse au réveil de reprendre ses droits via le refoulement, transformant en sensation vague ce qui était si clair « juste après ». Et souvent nous ne pouvons que constater la différence entre le pâle récit que nous pouvons en faire et le rêve tel que nous l’avons vécu, avec la prédominance d’images visuelles et la sensation, tellement forte parfois, d’y être vraiment, (qui nous fera dire au réveil « ouf ce n’était qu’un rêve ! » ou « dommage, ce n’était qu’un rêve » selon la teneur) : nous sentons une sorte de mise à distance qui nous donne la juste impression d’avoir perdu en route une bonne partie du rêve. Sans doute est-ce une des raisons qui poussait Fellini à dessiner ses rêves en une sorte de BD, plus proche de son vécu onirique qu’un simple récit.

Freud s’est depuis l’enfance intéressé à ses rêves (cf lettre à Martha du 18 juillet 1883 : notes sur un carnet), mais ce n’est qu’en 1900 qu’il pourra dire que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à l’inconscient de la vie psychique ». Je rappelle qu’il notait minutieusement ses propres rêves sur un carnet, surtout depuis la mort de son père en 1896, période très difficile pour Freud. C’est leur analyse qui lui a permis de comprendre avec honnêteté son amour pour Amalia, sa jeune mère, le relatif rejet de Jacob, son père, la culpabilité induite par la mort de son petit frère Julius et l’angoisse ressentie à la naissance, peu après, de sa sœur Anna, elle aussi susceptible de disparaitre de par sa faute dans son fantasme, bref ce qui fait le complexe d’Œdipe qu’il théorisera plus tard.

Bien sûr, depuis la nuit des temps, rêver et faire un récit de son rêve au réveil se pratiquait, mais le sens qui était accordé au récit était bien différent de ce que nous en apprend la Psychanalyse, souvent pris dans des sortes de rituels impliquant la communauté: ainsi les rêves, surprenants ou un peu inquiétants, étaient-ils déchiffrés collectivement en fonction de clés symboliques culturelles ; ils annonçaient l’avenir, étaient interprétés comme messages bienveillants ou malveillants adressés au rêveur et (ou) à son entourage social par des puissances supérieures, entre pensée magique et communication avec un monde surnaturel etc…Les scientifiques  quant ‘à eux, n’ont accordé aux rêves que la valeur d’assemblage chimique d’images , dû au hasard.

C’est bien le génie de Freud qui a permis d’accorder au rêve l’inestimable valeur psychique, non plus d’un accès à un monde surnaturel, mais d’un traçage vers des profondeurs qui nous habitent personnellement, qui sont habituellement inaccessibles, mais peuvent se dévoiler grâce à la baisse de vigilance qu’implique l’état de sommeil. Ainsi naquit la « psychologie des profondeurs » qu’est la Psychanalyse. La treumdelengtung, l’interprétation des rêves, paru en 1900 a été un pas capital pour la naissance de cette discipline. (Livre très dense et complexe, suivi par « Sur le rêve », plus simple, l’année suivante). Donc, un des premiers « retours du refoulé » nous renseignant sur nos motions inconscientes, fut, pour Freud, le rêve. Les autres étant les symptômes, les lapsus et actes manqués, les mots d’esprit etc…Il put montrer que la vie onirique obéit à des règles propres, différentes de celles de la vie diurne et consciente.

Premier point, le censure et le rêve

  • Comme nous l’avons vu une première censure s’exerce au réveil, nous faisant oublier presque toujours une bonne partie du contenu de nos rêves, voire tout le contenu de nos rêves. Et Freud ira plus loin lorsqu’ en 1933, dans sa révision de la théorie du rêve (les nouvelles conférences), mais nous en parlerons ultérieurement il affirmera que paradoxalement, un rêve n’est pas fait pour qu’on s’en souvienne. Ce n’est pas son destin.

Encore plus intéressante est la façon dont se fabriquent à notre insu nos rêves. On peut dire qu’ils avancent déguisés, se présentant à nous avec un contenu dit « manifeste » qui sert à dire tout en les cachant des pensées dites « latentes » refoulées dans l’inconscient car souvent peu avouables ou désagréables. Freud appelle « travail du rêve »la façon dont se constitue le déguisement qui conduira des pensées latentes au contenu manifeste, et « analyse du rêve » ce qui permettra le chemin inverse, permettant de découvrir les pensées latentes d’arrière-plan.

Le travail du rêve va consister en l’utilisation de divers subterfuges

-Utilisation de restes diurnes pour parler éventuellement de tout autre chose : ainsi la visite de la veille à la grand-mère pourrait bien n’être qu’un prétexte pour parler, peut-être de la grand-mère âgée mais peut-être de quelqu’un d’autre, l’analyste par exemple, ainsi attaquée par le truchement du déplacement sur la grand-mère.

-Le déplacement consiste à remplacer une personne par une autre, ou encore une partie de soi par une personne différemment identifiée. Ou encore la préoccupation pour la grand-mère pourrait être le vague souhait de sa mort et le désir d’un héritage, faisant du rêveur, à l’insu de son Moi conscient, un cambrioleur.

-Ainsi agressivité et avidité seraient retournées en leur contraire, une bienveillante préoccupation : un autre élément du travail du rêve.

-La condensation quant ’à elle permet de dire beaucoup de choses en peu de mots. Par exemple, comme c’est le jour du mois où le patient doit payer son analyste, il se pourrait qu’en même temps que l’héritage de la grand-mère, soit imaginée la possibilité de voler l’analyste en ne payant rien. Mais ceci est un exemple fictif. On sait depuis Freud et sa découverte avec les hystériques de la règle de la libre association que seules les associations du rêveur et de l’analyste, et l’état du processus analytique au moment du rêve pourront en permettre véritablement l’analyse.

L’agressivité à l’égard de l’analyste peut souvent et utilement se manifester dans les rêves lors d’une psychothérapie ou d’une analyse. Ex de Fabienne, où on voit un déplacement, mais qui n’est pas tout à fait opérant, ce qui lui donne un caractère d’authenticité incontestable. Il s’agit d’une patiente rencontrée à 32 ans alors qu’elle souffrait d’une anorexie chronique sévère depuis l’âge de 19 ans. Le traumatique pesait lourdement dans son histoire : son jeune père était décédé subitement devant le bébé de 16 mois dans les bras de sa mère qu’elle était alors ; une dépression maternelle avait suivi ce drame, puis quelques années plus tard cette même mère avait dû être hospitalisée plusieurs mois pour un syndrome infectieux gravissime. Au bout de 2 ans de psychothérapie en face à face, l’analyste lui propose le divan, pensant qu’elle serait ainsi plus à l’aise pour exprimer et élaborer son agressivité, son ambivalence et ses conflits internes, notamment entre ses désirs contradictoires d’extrême dépendance et d’autonomie ; lors d’une séance elle raconte alors un rêve de la nuit précédente : dans ce rêve, elle va chez l’esthéticienne (chez qui, précise-t-elle, elle se rend juste avant la séance du mardi). Là, elle est prise en charge par une remplaçante qui fait mal son travail, lui enlève à peine quelques poils mais lui fait payer très cher. « Vous voyez, dit-elle avec conviction à son analyste après ce récit, vous me faites payer très cher pour presque rien » ; ce que cette dernière répète à la 1ère personne : « je vous fais payer très cher pour presque rien » ; Fabienne reprend, stupéfaite « mais ce n’est pas de vous dont il s’agit » ; l’analyste lui redit alors sa phrase telle qu’elle l’a énoncée ; très étonnée, Fabienne convient que cela lui a échappé et ajoute « vous voyez, à force d’en parler vous êtes devenue ma mère ». Là on voit bien un déplacement, un déguisement qui ne sont pas tout à fait opérationnels (éléments traumatiques)

L’analyse du rêve

Prenons un rêve de Freud : l’oncle à la barbe jaune. « L’ami R. est mon oncle. J’éprouve une grande tendresse pour lui. Je vois son visage quelque peu modifié devant moi. Il est comme étiré en longueur, une barbe jaune qui l’encadre ressort avec une particulière netteté »

Ce rêve survient dans un contexte particulier : nous sommes au printemps 1897 et Freud a été proposé pour le grade de « professor extraordinarius » par d’éminents professeurs. Toutefois le ministère avait, les années précédentes, refusé beaucoup de propositions de cet ordre. La veille du rêve, Il rencontre un collègue, l’ami R. justement, lui aussi en attente, qui revenait du ministère où il avait clairement demandé s’il était vrai que des motifs confessionnels empêchaient sa nomination ; comme Freud il était juif. La réponse, évasive, des professeurs, allait dans ce sens, donnant à penser à Freud qu’il ne servait à rien d’attendre sa propre nomination, étant dans le même cas que son confrère et ami.

Freud, à l’instar de ce qu’il avait découvert auparavant avec les hystériques, se laisse aller à des associations libres. Nous voyons alors que l’ami R et l’oncle Joseph (qui, lui, est un escroc qui a fait de la prison, un voleur, un menteur, une tête faible selon Jacob, le père de Freud) ne sont qu’une seule et même personne (déplacement et condensation). La prétendue tendresse est une formation réactionnelle cachant une agressivité et des pensées injurieuses. En fait Freud aspire de tout son être à se voir nommer professeur, bien que juif.   R., au contraire de ce qu’affirme Freud dans un premier temps, n’est, pour sa part pas tout à fait irréprochable car objet d’une plainte en justice. S’il est refusé, souhaite le rêveur, ce sera à cause de cela, et non pour des motifs confessionnels. Pour preuve : un autre ami, N., a été refusé, non parce qu’il est juif mais au motif lui aussi d’une plainte en justice ! Nous comprenons peu à peu combien ce rêve, fait juste après la mort de Jacob, condense le désir de Freud de satisfaire sa mère en devenant un grand homme, ce qui lui a été prédit à deux reprises, celui de réparer la honte de son père en rapport avec l’emprisonnement de l’oncle (effectivement porteur d’une barbe blonde), celui de l’emporter sur ses amis, celui d’émanciper les juifs, et celui, tout de même, d’être nommé professeur !

Là, il s’agit de Freud, dont l’objectif était à tous prix de comprendre. Bien sûr, actuellement, les rêves ne s’analysent plus tout à fait de la même façon, bien que toujours en tenant compte des associations et de ce qu’on perçoit du processus en jeu. Je donnerai deux vignettes cliniques :

Le petit Thomas : les rêves d’enfants, profitant de l’ingénuité sont souvent plus simples que les rêves d’adultes, et donnent plus directement accès à la vie psychique inconsciente. On sait qu’ensuite tout cela se complexifie, donnant ainsi évolution, épaississement à notre inconscient. Très fréquents sont les cauchemars d’enfants à très forte connotation œdipienne, tel celui du petit Thomas, 9 ans, venu 

pour une instabilité et une agressivité importantes, sur fond d’obsession de la mort ; plusieurs personnes assez proches de la famille étaient de fait décédées en quelques années. Le cauchemar qui l’avait effrayé et qu’il rapporta à sa thérapeute fut le suivant « mon papa (agriculteur) était sur son tracteur et mes grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines le suivaient à pied. Tout à coup une voiture est arrivée, a renversé le tracteur et a fauché et tué tout le monde…Sauf maman, mon petit frère et moi parce qu’on marchait derrière, un peu plus loin ». Le thérapeute lui dit alors « ce que tu me racontes là est très triste, mais heureusement tu peux grâce ton rêve garder ta maman pour toi tout seul, et un petit peu pour ton petit frère, ce qui est un peu moins triste ; mais quand même ouf, ce n’est qu’un rêve !». Il semble que cette simple séance, assortie bien sûr d’un entretien avec les parents, fut opérante pour ce garçon ; ce qui semble avoir agi c’est la façon dont le cauchemar, du simple fait d’avoir été raconté, accueilli tranquillement et interprété dans sa valence œdipienne par le thérapeute, a pu se transformer en rêve : oui le désir de Thomas que son père meure, pour le laisser seul avec sa mère pouvait se dire en rêve et enfin se penser sans crainte que ça déborde sur la réalité. Une frontière entre les rêves et pensées latentes les actes a pu se créer ou se renforcer.

Autre exemple montrant comment, dans une analyse, sans pour autant disséquer un rêve comme le faisait Freud, ce qui pourrait n’avoir un impact qu’intellectuel pour l’analysant, il est possible, en écoutant ses associations, et aussi en écoutant ce qu’elles font raisonner en l’analyste, de saisir le mouvement qui anime, au travers du rêve, le processus analytique en cours. Une patiente, Irma, en fin d’analyse fait le rêve suivant : lors d’un mariage elle entre dans une petite chambre, il y a 3 lits ; sur l’un d’eux sa mère se dresse brutalement et lui dit d’aller jouer dehors avec les enfants et d’aller s’acheter une glace. Les deux autres lits sont-ils occupés ? En tous cas personne ne bouge. Irma n’a pas envie de glace. Dehors il neige, il fait froid….

Aussitôt l’analyste pense sans rien en dire, au fantasme originaire de scène primitive : dans un des lits et même plus près que cela, bien uni à la mère, n’y aurait-il pas le père ? Peut-être que, pour sa part, l’enfant aimerait occuper le 3ème lit, au lieu d’être exclu, renvoyé vers un refroidissement pulsionnel bien décevant. A noter que jusque-là père et mère étaient bien séparés, les fantasmes de la patiente l’amenaient à se penser, dans un rapproché agressif ou amoureux, soit avec l’un, soit avec l’autre…Le père décédé dans l’enfance de la patiente, était un père idéalisé, presque un pur esprit.

Dans les suites du récit du rêve, la patiente a ces paroles « avec ma mère on ne se comprenait pas ; je pensais qu’elle me prenait pour une folle ; elle racontait que j’avais de grands yeux, comme ceux d’une de mes tantes qui était folle. L’analyste s’entend alors lui dire, avec en tête le rêve, mais aussi, à la faveur de l’écoute régressive dans laquelle se déroule une séance d’analyse, la scène où le loup déguisé en grand-mère et couché dans son lit dialogue avec le petit chaperon rouge : « des grands yeux, c’est pour mieux voir ! ». Immédiatement, la patiente se dit embrumée, comme avec un voile noir.

A la séance suivante, elle raconte avoir pensé à « des choses folles et dégueulasses », dont elle n’a pas la preuve, comme « d’avoir été mêlée de façon malsaine aux ébats de ses parents ». Il lui faudra un peu de temps pour intégrer ce fantasme de scène primitive, qui, à l’évidence, remettait le père de son enfance dans le lit de la mère, en en privant la petite œdipienne qui siégeait encore en Irma.

Là donc, pas d’interprétation directe, mais une façon de suivre le double fil des associations de la patiente et de ce qu’elles évoquent chez l’analyste. On voit qu’il y a entre les deux partenaires de cette aventure une sorte de tissage qui permet d’avancer au travers d’un rêve.

 

Reste la question cruciale, à quoi sert le rêve ?

-Dans un premier temps, en 1900, pour Freud le rêve est une réalisation de désir, à l’instar du rêve de son petit neveu, âgé de 22 mois, chargé d’apporter à son oncle un panier de cerises pour sa fête ; l’enfant a le cœur gros car il aurait bien aimé que ces belles cerises soient pour lui. Le lendemain il se réveille tout joyeux en déclarant avec ses mots d’enfant : « Herman a mangé toutes les cerises. Même les rêves qui semblent parler de catastrophe, comme celui de Thomas, sont révélateurs d’un désir inavouable : chez Thomas que son père meure et qu’il ait sa mère pour lui tout seul.

-En 1920, dans au-delà du principe de plaisir, texte où Freud introduit la pulsion de mort, qui vient s’opposer à Eros, un de ses arguments en faveur de cette pulsion de mort est l’existence de ces rêves qui se répètent indéfiniment, à l’identique, dans les névroses traumatiques. Là, on est au-delà du principe de plaisir. Il s’agit d’un échec du travail du rêve, d’un raté des efforts désespérés du sujet pour venir à bout du trauma.

-En 1933, dans l’article « révision de la théorie du rêve » (les nouvelles conférences), Freud revisite autrement le but des rêves et la raison pour laquelle la plupart d’entre eux ne parviennent même pas à la conscience. C’est que le rêve n’est pas fait pour donner lieu à un récit. Ce n’est pas son destin. La vraie fonction du rêve, nous dit-il, est d’être « gardien du sommeil », donc oublié. Pour lui « le repos sans stimulations que voudrait instaurer l’état de sommeil est menacé de 3 côtés : 1.de manière plutôt fortuite par des stimulations extérieures pendant le sommeil 2. Par des intérêts diurnes qui ne se laissent pas interrompre (ex : je me suis disputé avec mon chef), 3. De manière beaucoup plus inévitable, par des motions pulsionnelles inassouvies qui guettent une occasion de se manifester ». Ainsi pourrait-il y avoir danger pour le maintien du sommeil lors de chaque rencontre, favorisée par l’abaissement nocturne des refoulements, entre une incitation externe ou une préoccupation de la journée précédente avec une des sources pulsionnelles inconscientes (j’ai subi jadis un épisode particulièrement humiliant de la part d’une instit de maternelle et donc j’ai peur de tout ce qui ressemble à une humiliation). « Le processus du rêve fait déboucher le produit d’une telle collaboration en un vécu hallucinatoire inoffensif et assure ainsi la poursuite du sommeil » Nous le voyons donc, le rêve serait une sorte de barrière souple et modulable permettant à l’inconscient de s’exprimer, baisse de la censure pendant le sommeil oblige, sans toutefois interrompre le sommeil, le refoulement reprenant ses droits dès qu’il le peut. Idéalement la seule trace du rêve au réveil, serait le sentiment d’avoir bien dormi et d’être prêt à commencer une nouvelle journée avec une disponibilité libidinale régénérée.

Alors d’où vient que le rêve, destiné à être refoulé, puisse donner lieu à un récit ?

S’il y a récit c’est que quelque chose accroche, dérange, (comme nous l’avons vu dans l’exemple fictif de l’introduction, sous couvert d’une préoccupation pour la grand-mère, peut-être y a- t-il tout un tas de mauvaises pensées, indicibles et dérangeantes ; idem pour le rêve de l’oncle à la barbe jaune)

Mais bien sûr une théorie n’est pas un absolu, mais simplement une aide à la pensée ; ainsi pour Ferenczi cette notion d’achoppement est beaucoup plus essentielle que chez Freud dont il conteste l’opinion selon laquelle la fonction du rêve serait, en quelques sortes, de transformer en accomplissement de désir des restes diurnes déplaisants qui perturberaient le sommeil ; pour Ferenczi les restes diurnes représenteraient par eux même une des fonctions du rêve en ce sens qu’ils seraient des symptômes de répétition du traumatisme (ce ne sont pas n’importe quels restes qui sont convoqués). Ainsi une fonction essentielle du rêve serait d’amener des évènements traumatiques à une résolution et une maitrise psychique meilleures. C’est la fonction traumato lytique du rêve.

Ainsi cet auteur rapporte une série de rêves en 2 temps durant la même nuit

-Le premier dans une période de sommeil très profond, n’est pas fait de représentations mais d’un état d’agitation, de sensations de mal être et de douleurs corporelle et psychique qui réveille le patient.

-Le second fait ensuite dans un sommeil moins profond, est un rêve qui présente les caractéristiques de déformation habituelle du rêve permettant d’avoir accès sous forme déguisée dons acceptable au contenu du traumatisme.

Pour lui ce premier temps est essentiel ; il permet aux impressions sensibles traumatiques non résolues et profondément enfouies de donner lieu enfin à des perceptions et décharges motrices qui n’ont pas pu avoir lieu durant le trauma, celui-ci ayant entrainé une paralysie sensorielle et motrice et un blocage perceptif. Le second temps serait une tentative de la patiente de venir à bout seule, de la résolution du traumatisme, au prix de la falsification propre au rêve. D’où régression à ce premier temps induite par lui dans les cures. Ce modèle peut aider certains patients qui se réveillent dans un état de mal être ; y-a-t-il un mauvais rêve en arrière-plan ?

Mais il faut également, et c’est une lapalissade, que le sujet dispose de la capacité de rêver et là Bion va beaucoup nous aider.

Une autre raison, majeure, de se souvenir de ses rêves est l’existence de l’adresse que constitue l’analyste : on ne rêve jamais autant ou plutôt on ne se souvient jamais aussi bien de ses rêves que quand on est en analyse. Souvent ce récit d’un rêve apporté à l’analyste se tient sur une ligne de crête entre mouvement vers l’objet analyste (cadeau destiné à le séduire ou mouvement agressif), et résistance narcissique : « mes rêves sont à moi ; c’est bien moi le rêveur qui mène la danse analytique»…Ainsi est clairement identifiable le caractère du rêve, tout à la fois apport de matériaux pouvant contribuer grandement à l’avancée de l’analyse et défense contre un rapproché transférentiel trop direct, qui, lui aussi, contribuerait à l’avancée de l’analyse. Parfois même, sur le versant défensif, peut-on considérer comme un rideau de fumée, une surabondance de récits de rêves…L’analyste en veut ? En voilà ! Sans que toutefois le processus de l’analyse évolue d’une quelconque façon ou que le patient semble en tirer un profit psychique conscient ou inconscient pour lui-même ; un des signaux d’alarme est l’incapacité dans laquelle se trouve alors l’analyste de régresser, en se laissant aller à des rêveries et pensées en « attention flottante » ; mais à l’inverse, paradoxalement, l’analyste peut être submergé de représentations, comme s’il lui incombait d’avoir à faire de façon un peu compulsive, le travail psychique pour deux. On voit que la question du rêve n’est pas une question simple. Là aussi Bion et ses successeurs ont apporté des choses intéressantes sur ce « rêver qui empêche de rêver ».

En conclusion, loin des vulgarisations qui relèvent dans les rêves des significations stéréotypées qu’il suffirait de balancer au patient, on voit combien les rêves et leur interprétation sont une affaire à deux, dans une sorte de co-pensée, co-éprouvé qui permettent à ce patient-là, avec cet analyste-là, de cheminer dans la dynamique d’un processus !