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12 octobre 2020

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

Le conjugal à hauteur d'enfant : représentation du couple parental chez l'enfant.

Par Brigitte Culioli, psychanalyste

 

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La psychanalyse s’intéresse d’abord à la vie psychique de l’individu y compris quand il s’agit de celle de ses parents, indépendamment l’un de l’autre. Elle prend plus rarement en compte le rôle du couple. Or, la place du père est corrélée à l’importance qu’il a pour la mère en tant qu’être de chair, compagnon de vie, mais aussi en tant que personnage symbolique. La mère, qui conçoit et porte son bébé dans son corps, lui donne naissance à l’issue du travail de gestation, a une relation plus immédiate à l’enfant. La mère est première, le père est second (à l’échelle de l’histoire du sujet, pas nécessairement dans l’inconscient). Le rôle du père est lié à la vie du couple. La relation au père s’inscrit dans un écart prenant appui sur la réalité du couple. Le couple et son ou ses enfants forment une famille. La famille est aujourd’hui à géométrie variable. L’enfant est la constante de la famille…c’est au niveau des parents que ça varie : couple partageant une vie commune, couple séparé, couple à distance, parent isolé, couple hétérosexuel, couple homosexuel. C’est la réalité des familles d’aujourd’hui.

Les familles d’aujourd’hui

Depuis la 2e guerre mondiale, la notion de famille s’est profondément modifiée. Les causes en sont multiples:

Même si la structure familiale classique = une mère, un père, un ou des enfants reste normative, la réalité est très différente pour un grand nombre d’enfants.

On peut dégager deux grandes origines à cette modification :

Une origine plutôt d’ordre sociale. Les unions ne s’inscrivent plus dans la même durée. Les places respectives des hommes et des femmes se modifient. Les couples ne s’officialisent pas toujours et parfois après la naissance d’un enfant. Les séparations concernent un grand nombre de couples avec ou sans enfants  et permettent aux parents de constituer de nouvelles cellules familiales dans lesquelles les enfants vont vivre avec d’autres adultes que leurs parents : beau-père, belle-mère. Certaines mères (plus rarement des pères) restent seules avec leurs enfants après une première séparation, voire ne vivent jamais avec le père ou les pères de leurs enfants. ,

Une origine plutôt scientifique et technologique. La procréation a beaucoup évolué, grâce à la contraception, à l’avortement mais aussi au progrès des traitements des infertilités : fécondation in vitro (naissance d’Amandine en France 1982), don de sperme ou d’ovocyte, grossesse pour autrui. Un homme et une femme continuent de fournir des gamètes, spermatozoïdes et ovules, mais ils ne sont pas toujours les père et mère de l’enfant, La femme qui porte l’enfant le temps de la grossesse n’est pas toujours la mère.

Changements d’origine sociale ou scientifique sont interdépendants et peuvent se potentialiser mutuellement.

On pourrait considérer que les enfants peuvent déjà se passer du corps d’une femme pour presque la moitié de la grossesse. (le fœtus est déclaré viable à 22 semaines d’aménorrhée, sa survie est quasiment assurée à partir de 28SA)

Il y a donc plusieurs   types de paternité et de maternité : pleine et entière, ou biologique (génétique), gestationnelle, adoptive, sociale.

Il existe une disjonction de plus en plus prononcée entre procréation, sexualité et cellule de vie de la famille.

En 2018, en France, 4 millions d’enfants mineurs vivent avec un seul de leurs parents au domicile

Dans 5 cas sur 6 les enfants vivent avec leur mère seule et dans seulement 1 cas sur 6 avec leur père seul.

Près de 20% des enfants vivent actuellement avec une mère seule.

               

Dans le cortège de ces changements sociétaux et technologiques, les places respectives des hommes et des femmes ont été bouleversées, la notion de genre (social) a évolué. Des familles homoparentales se sont constituées officiellement avec le mariage pour tous.

Les associations de familles homos estiment à 200000 à 300000 enfants le nombre d’enfants vivant avec un ou des parents homosexuels. Parmi ces enfants, certains sont nés d’une précédente union hétérosexuelle de l’un de leurs parents.

Quelle que soit sa formule, la famille est la cellule de vie qui permet à des enfants de grandir, de passer de la dépendance initiale à l’autonomie, à la pleine jouissance de leurs devoirs et de leurs droits.

Psychanalystes et familles

Du côté des psychanalystes il est difficile de trouver un moyen terme entre la réaffirmation de l’importance de la structure classique de la famille, c'est-à-dire un père homme géniteur, une mère femme génitrice et porteuse avec un ou des enfants « fruits » d’une relation hétérosexuelle et une position d’adhésion de principe à la modernité, excluant tout regard critique au nom du respect de la personne et de ses décisions.

L’affirmation de l’importance de la structure classique peut s’entendre sur un plan plus ou moins symbolique ou plus ou moins réel. Néanmoins je pense que la plupart des psychanalystes sont attachés au principe de neutralité vis-à-vis des patients qu’ils rencontrent, accueillent et écoutent. Je crois qu’il y a un écart entre certaines prises de position théoriques bruyantes et l’ouverture à la parole intime du patient.

Pour ma part j’apprécie la position de Sylvie Faure Pragier qui a choisi d’accompagner ces familles sans rejet mais sans idéalisation, entre figures parentales et paroles d’enfants, attentive aux désirs de procréation ou de faire famille des uns et aux vicissitudes de la croissance des autres.

La famille « normative »

Que se passe-t-il entre père et mère, autrement dit dans le couple parental, du point de vue de l’enfant ?

J’ai retenu trois phénomènes qui concernent les effets de l’existence du couple parental sur la vie psychique de l’enfant : la scène originaire, le roman familial et le contrat narcissique.

Scène primitive

Le premier événement pour l’enfant, c’est sa conception. Il est psychiquement absent de cette scène originelle mais il y revient en après-coup, ou elle lui revient en après-coup, à travers le vu et l’entendu de la relation du couple parental.

Cette scène apparait dans l’œuvre de Freud dans sa description de la « névrose «  de l’homme aux loups (1914-1918). Il la conçoit comme un fantasme originaire, aux côtés des fantasmes de séduction et de castration.

Il s’agit d’une « représentation du rapport sexuel des parents »

 

Cette scène, entre souvenir et fantasme, est nouée au destin œdipien de l’enfant. Cette scène marque l’enfant et porte l’empreinte de sa version privée du complexe œdipien.

L’enfant, auteur de la scène, y est inclus mais en est aussi exclu (et pourtant il s’agit de son origine).

« Je n’étais pas là la nuit où j’ai été conçu »( P.Quignard )

.La représentation de la sexualité génitale (des parents) est intimement liée au questionnement sur les origines.

Mais une pudeur, une réticence, un sentiment d’interdit, une honte voire un effroi défendent de s’y attarder.

«  Le naître est la porte à jamais fermée » (idem) Se voir naître c’est observer le commerce sexuel des parents, dans toute sa nudité et toute sa crudité. Origine inaccessible et attracteur puissant, source de la soif de connaissance.

« Toute notre vie, nous cherchons à passer la source choquante (les deux nudités principielles) au travers d’une espèce de tamis perceptif. »(Idem)

Tout rapprochement des parents, qu’il soit haineux ou amoureux, suscite un sentiment d’exclusion.

« Les enfants des parents qui s’aiment sont des orphelins » Stevenson

« L’enfant est celui qui tient la chandelle » P.Quignard

Cette scène originaire s’impose à l’enfant qui aimerait qu’elle n’ait pas existé mais, en même temps, sa propre existence en est la preuve et la conséquence.

Ainsi avant même qu’il ne prenne conscience de l’écart qui le sépare de sa mère, elle était déjà loin de lui, perdue dans l’étreinte originaire.

Cette scène est donc altérante, pourvoyeuse d’altérité.

La figure des deux amants et de leur enfant forme un triangle dont les trois sommets ne sont pas équivalents et n’entretiennent pas les mêmes relations.

Seule la mère a des relations « privilégiées », « charnelles », avec les deux autres.

Père et enfant ont tendance à s’exclure mutuellement au travers des transactions que mène ou subit la femme entre femme-mère et femme-amante. C’est l’enfant du jour versus l’enfant de la nuit : enfant du jour, il bénéficie d’un investissement maternel prioritaire, enfant de la nuit, il est bercé pour trouver le sommeil et laisser ainsi place à un autre investissement, celui du père dans la vie amoureuse (concept de la censure de l’amante développé par Denise Braunschweig et Michel Fain).

Aux premiers temps de la vie de l’enfant, le père spectateur est exclu de l’échange direct entre mère et enfant. Exclu des sensations de la grossesse, spectateur des changements d’apparence de sa compagne, spectateur encore au moment de l’accouchement, de l’allaitement. En tant qu’homme d’ailleurs, il se retrouve confronté de nouveau au sentiment d’exclusion de sa propre scène originaire infantile. La femme de son côté retrouve un temps l’illusion de complétude éprouvée dans le sein ou les bras maternels.

« La rencontre paternelle ne se fait pas dans le registre du besoin, c’est pourquoi le père est sans doute celui qui introduit la première brèche dans la collusion originelle qui rendait indissociables la satisfaction du besoin du corps et la satisfaction du « besoin » libidinal. » Piera Aulagnier

Le père se tient dans une certaine réserve nous dit André Green :

« Le tiers dans la scène (de l’allaitement) c’est le regard du père, auquel sont attribuées toutes les limitations de cette situation virtuellement source d’une satisfaction totale. »

Le père se tient dans la distance, hors de portée, contrairement à la mère proche. En effet pour le père cette scène de satisfaction infantile représente ce à quoi il a dû renoncer lui-même, pour grandir, pour quitter sa mère, pour se tourner vers une autre femme, la mère de son enfant….

.

André Green représente la relation père-mère-enfant par un triangle ouvert. Cette structure ternaire comprend le sujet (enfant), l’objet(mère) et l’autre de l’objet (père).. Dans ce triangle toutes les places ne sont pas équivalentes.

L’autre de l’objet n’est pas toujours le père de l’enfant, il peut s’agir d’une personne de l’enfance de la mère : sa mère, son père, frère, sœur, nourrice, ou un support d’amour ou de passion.

Roman familial

On peut dire que le couple parental c'est-à-dire la relation entre les parents peut faire tiers pour l’enfant. Le couple parental éloigne de lui la mère pourvoyeuse de satisfactions libidinales.

Le couple parental que Freud présente comme détenteur de l’autorité, « les parents sont d’abord l’unique autorité et la source de toute croyance ».

Dans le schéma d’André Green, c’est entre père et mère que vont se répartir et s’affermir l’Idéal du Moi, le Surmoi par le jeu identificatoire. «  Devenir semblable à eux, c'est-à-dire à l’élément du même sexe, devenir grand comme père et mère, c’est le désir le plus intense et le plus lourd de conséquences de ces années d’enfance. » Freud, Le roman familial des névrosés

Le « roman familial » est une élaboration fantasmatique, souvent sous forme de rêverie diurne, que traversent beaucoup d’enfants pendant la période de latence. Ils imaginent qu’ils ont d’autres parents que les leurs, par exemple qu’ils sont adoptés et ce fantasme d’une autre appartenance est le signe d’une désidéalisation, d’une critique des personnages parentaux. Ce processus fait suite aux multiples déceptions qu’a endurées l’enfant dans ses vœux d’amour exclusif et inconditionnel. (Voir le catalogue de parents de Claude Ponti)

Ce processus contribue à déplacer les investissements libidinaux de l’enfant de la famille nucléaire vers la société et consolide ainsi son individuation psychique.

Contrat narcissique

Le père, porteur symbolique de toutes les limitations de la situation de satisfaction initiale, figure privilégiée de l’Autre de la mère et représentant de l’autre, ouvre par sa présence la dyade mère-enfant vers le socius. Le couple parental exerce par son existence (facteur d’exclusion) une force centrifuge sur les investissements libidinaux de l’enfant. Ce mouvement d’ouverture se déploie sous l’égide des relations et des investissements familiaux et sociaux des parents. Autour de la famille nucléaire, il y a la famille élargie et le groupe social auquel ils appartiennent. L’enfant dès avant sa naissance a une place dans ce groupe, sur lequel il pourra (ou pas) s’étayer pour s’individualiser. (Exemple : l’école)

« Le contrat narcissique s’établit grâce au pré-investissement par l’ensemble (social) de l’infans comme voix future qui prendra la place qu’on lui désigne : il dote celui-ci par anticipation du rôle de sujet du groupe qu’il projette sur lui. »  

De son côté, l’enfant obtient, en contrepartie, l’assurance du droit à occuper une place indépendante du seul verdict parental.( Piera Aulagnier)

Ceci est valable pour plusieurs groupes et sous groupes auxquels appartient la famille nucléaire, de la famille élargie, au groupe social ou religieux, à la communauté, à la nation…

Mais « la qualité et l’intensité de l’investissement présent dans le contrat reliant le couple parental à l’ensemble, comme la particularité des repères et emblèmes qu’il privilégiera dans ce registre, agiront dans l’espace où le Je de l’enfant doit advenir ». En d’autres termes, le couple parental lui-même, à travers les qualités propres de ses investissements sociaux et groupaux, peut infléchir dans un sens ou dans un autre la potentialité d’établir un contrat narcissique pour leur enfant.

C’est parfois en ce lieu (du contrat narcissique) que l’Histoire et ses aléas ou ses traumatismes impactent le devenir du sujet (impact de la migration, du changement de culture et de langue)

L’enfant passe du domaine donné de la filiation, au monde choisi des affiliations. Le chemin qui mène de l’un à l’autre est difficile, particulier à chaque situation et peut subir de nombreux revers.

Et l’appartenance ?

J’ai choisi de présenter une progression de l’ « Advenue du Je » dans un sens d’ouverture et j’ai privilégié le mouvement d’exclusion croissante de l’enfant de son milieu de naissance vers la construction de son existence d’individu autonome. Mais il y a une la contrepartie. Avant de se découvrir ou de se vouloir exclu, l’enfant doit évidemment se sentir inclus, inclus dans les projets, dans les désirs, dans la vie quotidienne et même les rêves de ses parents, en tant qu’objet de projections sur sa vie d’adulte, sa place dans la société et sa descendance c'est-à-dire ses capacités créatives et procréatives.

Faute de quoi il sera en peine pour investir sa vie et ses relations avec les autres.

Les autres familles 

Que devient ce modèle psychanalytique qui nous permet jusqu’à présent de penser la naissance de l’enfant et son développement dans le creuset à la fois charnel et psychique du couple parental : homme et femme, lorsque le couple est différent ou apparemment inexistant ?

Quelles en sont les modifications attendues ou redoutées, les aménagements possibles ? Que constatent les psychanalystes qui fréquentent ces nouvelles constellations familiales ?

Le rôle du père ou le rôle de la mère peut heureusement être occupé par un adulte différent du géniteur et de la génitrice. C’est la base du processus d’adoption. C’est aussi ce qui se produit dans certaines familles recomposées ou homoparentales.

Les soins du nouveau-né fragile et dépendant passent par le corps à corps, le maternage, la proximité physique : on ne peut exclure qu’une autre femme que la mère les prenne en charge mais aussi un homme par le biais de ses identifications féminines et maternelles…

De la même façon que le rôle du père peut être occupé par un autre homme ou aussi une femme.

Dans tous les cas, ce sont des adultes désireux d’occuper ce rôle.

Alors, la vie psychique se démarque plus ou moins fortement du destin « génétique ».

Il n’est pas aisé « de rester psychanalyste dans le chaos des nouvelles filiations » selon les termes de Sylvie Faure Pragier. Elle plaide pour une « neutralité de rigueur ».

Elle revient sur les prédictions de menace « d’inconscient vide » suscitées par la naissance des premiers bébés éprouvette. Qui se sont avérées fausses bien sûr. Le passage dans l’éprouvette laisse plus de traces dans l’inconscient parental que dans l’inconscient de l’enfant. Sylvie Faure Pragier a d’ailleurs beaucoup œuvré à un travail d’élaboration avec ces parents-là.

Sylvie FP a relevé aussi les nombreux écueils de l’investissement parental selon les difficultés rencontrées et les solutions techniques proposées. Ces aléas de l’investissement parental retentissent sur les enfants et, en premier lieu, le secret sur l’origine. Les enfants à qui l’on tait leurs origines devinent souvent, dans les creux du discours, le contour d’un non-dit et se mettent en quête de vérité, tout en tenant rigueur aux adultes, à postériori, des nombreuses affabulations qu’on leur a servies. Sylvie Faure-Pragier constatait en 2011 que près de 75% des couples bénéficiant d’une IAD pour infertilité taisaient la vérité à leur enfant.

En autorisant l’adoption pour les femmes célibataires, la loi a ouvert la voie à d’autres revendications de parentalité, celles des couples homosexuels. Les travaux qui concernent ces familles sont bien plus nombreux aux Etats Unis ou en Belgique qu’en France.

Le psychologue américain Ken Corbett (professeur au programme post-doctorat de psychothérapie et psychanalyse de l’Université de New-York) a publié divers travaux sur le genre et « la virilité » Dans un article intitulé « Le roman familial non traditionnel ». Il pointe l’importance de l’anxiété et de la culpabilité chez les enfants issus de familles non traditionnelles et livre diverses réflexions pour éclairer leur questionnement des origines. Il constate les tensions engendrées chez ces enfants par la confrontation avec les attentes majoritaires de la société ainsi que l’incompréhension qu’ils peuvent éprouver. Il postule que « chaque enfant et chaque famille s’individualise à travers sa lutte avec et contre les structures sociales », quel que soit son écart à la normativité. « Personne ne vit en dehors de l’extérieur ». La famille non traditionnelle passe également un contrat narcissique avec la société. 

Il utilise le récit du roman familial pour réintroduire la place de chacun dans « la scène primitive » de l’enfant. Y compris le donneur de gamète qui ne doit pas rester un objet de honte ou de crainte pour l’enfant ou ses parents. Ce « personnage » doit être réintroduit dans le psychisme familial par le biais d’une rêverie commune permettant la construction d’un roman familial sur le mode des mythes familiaux.  

Enfin il plaide pour l’extension de la notion de scène primitive à d’autres réalités que la relation hétérosexuelle entre le père et la mère de l’enfant, s’écartant de la vision phylogénétique de Freud mais aussi de la pensée d’André Green qu’il cite d’après un article de 1995 : « si chacun de nous respire et se trouve en vie, c’est la conséquence heureuse ou malheureuse, d’une scène primitive, d’une relation sexuelle, heureuse ou malheureuse…entre deux parents sexuellement différents, que cela plaise ou pas ».

Diane Ehrensaft (docteur en psychologie de l’Université de San Francisco, spécialiste des problèmes de genre chez les enfants) explore également « les anxiétés, les conflits et les défenses psychologiques des parents faisant obstacle aux taches développementales et expériences émotionnelles des enfants de familles ayant recours à la PMA ».

Elle utilise aussi le récit des origines, le roman familial et les rêveries familiales.

Elle a forgé quelques concepts intéressants.

Le terme de birth other « autre biologique »ou « autre de naissance» a été conçu pour nommer le donneur, la donneuse de gamètes ou la mère porteuse .Le parent non génétique, suppléé par le birth other, peut souffrir d’un sentiment d’exclusion douloureux et recourir à un déni de son existence que DE symbolise par la phrase « chéri j’ai rétréci le donneur » : il évite de le mentionner ou le déshumanise en évoquant le « sperme ».A l’inverse les deux parents peuvent fantasmer excessivement l’implication affective   du donneur ou l’idéaliser, le fantasmer en amant potentiel , en rival ou en voleur d’enfant. Le birth other est une personne qui aide une famille à avoir un enfant : il n’est ni une partie du corps, ni un parent ni un amant. DE a forgé également le concept d’ « immaculée illusion » qui caractérise le déni complet du processus chez le parent non génétique.

De son point de vue les enfants de familles non normatives ont des taches spécifiques à assurer : se débattre avec leur sentiment de différence, établir leur appartenance et leur identité.

Un grand nombre des difficultés ainsi répertoriées sont proches de celles des enfants adoptés.

Cooper et Glazer ont écrit : «  les enfants qui n’ont pas connaissance de leur histoire génétique doivent vivre avec un sentiment de perplexité au sujet du pourquoi de leur existence et de confusion quant à la question de savoir qui ils sont. »

Les familles monoparentales (terme introduit par Andrée Michel, sociologue en 1975), semblent les moins bien équipées du côté de la triangulation, de l’introduction du tiers et du sentiment d’exclusion qui propulse l’enfant hors de la scène primitive. Elles sont considérées un peu vite comme incomplètes et inadéquates. Elles sont souvent stigmatisées : les représentations oscillent entre blâme, pitié et admiration.. On relève plusieurs types de familles monoparentales : famille monoparentale à la naissance, fm durable, décès de l’un des parents, fm par séparation. Certaines sont définitives, d’autres sont transitoires. Dans ces familles, un seul adulte, le plus souvent la mère porte le quotidien et s’occupe des enfants. Jean-François Le Goff psychiatre et thérapeute familial (Les familles monoparentales sont-elles les oubliées des thérapies familiales ?) défend la reconnaissance du statut de vraie famille pour ces groupes de parenté. En effet, il considère qu’elles sont éligibles pour d’authentiques thérapies familiales. Il relève peu de travaux les concernant. On y évoque souvent un risque de parentification des enfants. Il pense que lorsqu’elles bénéficient pour diverses raisons d’une thérapie familiale, il est utile de les aider à se décentrer du parent manquant (père) et à se connecter à la communauté. Il n’évoque pas davantage la question du père et du discours sur le père qui à mon sens ont leur importance.

La situation des familles monoparentales est plurielle. En cas de séparation, même ancienne, les enfants ont souvent un père plus ou moins présent, investi et capable d’investir son rôle. Parfois la mère évoque seulement « un géniteur » avec lequel il n’y a jamais eu de vie commune. L’enfant n’a jamais connu de père. L’enfant peut rester dépendant de sa mère, pour sa vie affective et matérielle, ce qui rend parfois malaisé le travail d’individuation. L’acquisition de l’autonomie sera rendue possible par la capacité de la mère à investir dans sa vie de femme. Il faut noter que cette dépendance prolongée de l’enfant à sa mère peut se rencontrer dans certaines familles non monoparentales, dans un contexte de « satellisation » du père. Il doit se tenir à distance mais ne pas être hors jeu.

Conclusion

Diane E et Ken C, dont j’ai cité les travaux, plaident pour un élargissement du discours sur la conception ou une correction des théories développementales pour rendre compte de ces nouveaux phénomènes, « à savoir qu’un père seul , une mère seule, deux mères ou deux pères peuvent faire un enfant à l’aide de gamète donnés ou d’utérus prêtés ».

Je ne suis pas sûre de pouvoir les suivre. La totalité des enfants sur cette planète, jusqu’à présent, sont conçus par un homme et une femme, qu’ils soient en chair et en os, ou sous forme d’utérus et/ou de gamètes. Le modèle de la conception ordinaire garde tout son sens. La relation sexuelle reste liée à la procréation. La proposition n’est d’ailleurs pas tout à fait juste : aucun parent seul, aucun couple homosexuel ne peuvent concevoir d’enfants sans l’aide de personnes du sexe opposé. Il ne faut pas réduire les donneurs ! Je ne parlerais pas de correction des théories développementales mais d’adaptations possibles permises par la société.

Il est certain que la famille « normative » n’a pas le monopole de la réussite ou du bonheur.

Reste la préoccupation de cet écart qui différencie les deux parents et favorise l’intégration de l’altérité.

Enfin, nous ne sommes pas les premiers à inventer des systèmes familiaux différents. La lecture d’un ouvrage d’anthropologie peut facilement nous en convaincre. Cependant, même pour un anthropologue filiation et sexualité restent liés au domaine de la parenté.

« En fait il est impossible d’appréhender le domaine des rapports de parenté en dissociant complètement la parenté des rapports entre les sexes et de la reproduction de la vie. Et ce n’est pas l’apparition récente, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, de familles composées de personnes du même sexe et les débats juridiques et éthiques que cette apparition continue de susciter qui nous démentiront. Car avec l’apparition de couples gays ou lesbiens c’est bien de sexe qu’il s’agit, et avec l’adoption d’enfants ou l’insémination c’est bien de la transformation d’un couple en famille qu’il s’agit. » Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté.

 

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