Hommage d'Anne JOOS à Andrée LEHMANN

 

Nous avons le profond regret de vous annoncer le décès d’Andrée Lehmann, survenu le samedi 29 janvier. Elle était membre du Cercle Freudien et d’Espace analytique. Sa participation, dès 1948,  aux différents mouvements de la psychanalyse en France fût d’une grande richesse pour la transmission de l’histoire de la psychanalyse.

Andrée Lehmann est née en 1924 en Alsace.

De cette enfance plongée dans un milieu trilingue, de son passé d’enfant caché puis de sa participation active à la Résistance dès ses 17 ans, de son retour en ‘45 à Strasbourg, ville ravagée, Andrée nous parla souvent, ne laissa que quelques traces écrites. Dans des propos réunis par ses collègues et amis du Cercle freudien en juin dernier, elle mettra en avant  qu’apprendre à penser dans ces moments de terreur, permet d’écarter la peur.

Cette mise au travail de la pensée fut aussi son fil rouge dans le travail soutenu pendant plus de vingt ans à l’hôpital Gustave Roussy à Villejuif. A l’écoute des femmes atteintes d’un cancer du sein, atteintes aussi dans leur image du corps et leur identité de femme, elle sera particulièrement attentive aux répercussions psychiques de la maladie grave.  La recherche des mots, dans cette temporalité du diagnostic et des traitements, ‘entraine un effort de pensée’ et permet de ‘nouer la pensée au corps’, écrira-t-elle.

Nous l’avions reçue à l’AFB, autour de son livre ‘L’atteinte du corps. Une psychanalyste en cancérologie’, paru en 2014 dans la collection singulier/pluriel dirigée par Jean-Pierre Lebrun chez Erès. Ce fut une matinée riche d’échanges avec aussi des collègues d’autres associations analytiques.

Elle soutiendra d’une façon innovante et singulière la fonction de psychanalyste à l’hôpital : en faisant coexister la démarche spécifique de l’analyse, ‘qui a partie liée avec l’inconscient et se manifeste dans le transfert’ avec les logiques inhérentes au discours médical, à la démarche des soignants et à l’institution hospitalière. Les faire coexister sans pour autant les confondre.  Entendre la dimension subjective à l’œuvre dans la traversée de la maladie, et parvenir, sans céder, à faire intégrer cette dimension du sujet dans le champ plus large de la recherche en cancérologie, aura été une version de ce que ‘Ne pas céder sur son désir d’analyste’ peut vouloir dire.

Dans ce travail à plusieurs, c’est la position de l’analyste, son attention aux signifiants du malade, et des soignants aussi, sa présence à l’indicible du réel qui œuvre. ‘La théorie psychanalytique n’est pas faite pour être prêchée’, dira-t-elle, ‘elle doit être mise en acte’. Son livre, ses nombreux articles et son engagement auprès des équipes qu’elle a formées en atteste.

Aujourd’hui, plus encore qu’hier, ‘Soutenir une position d’analyste dans des conditions qui ne s’y prêtent pas’, est un témoignage précieux qu’Andrée Lehmann nous livre et qui concerne en quelque sorte l’avenir de la psychanalyse.

Nous la regretterons.

Anne Joos