Le Freud des premiers temps et des premiers concepts

14 mars 2012

Conférence à l'Institut Universitaire Rachi de Troyes

 

 

Comme il s’agit d’une introduction et non d’une intervention qui prétendrait à une quelconque exhaustivité, je ne ferai qu’évoquer 3 points parmi l’immense œuvre conceptuelle de Freud:

-Les rêves

-La sexualité infantile

-le transfert

Les rêves

Freud s’est depuis l’enfance intéressé à ses rêves (cf lettre à Martha du 18 juillet 1883 : notes sur un carnet), mais ce n’est qu’en 1900, dans « l’interprétation des rêves » (Die Traumdeutung) qu’il pourra dire que « l’interprétation des rêves est la voie royale qui mène à l’inconscient de la vie psychique ». Il se démarque alors des méthodes classiques et populaires de déchiffrage des rêves ayant cours depuis l’antiquité (interprétation en fonction des clés symboliques culturelles en vue d’annoncer l’avenir, messages bienveillants ou malveillants adressé au rêveur par des puissances supérieures…), ainsi que des scientifiques de l’époque qui pensent que les rêves sont des productions désorganisées déclenchées par des stimuli physiques. Freud va défendre la thèse que le rêve est une activité psychique propre au rêveur, organisée, différente de celle de la veille, et qui a ses lois. L’expérience avec les hystériques et la méthode des associations libres seront à la base du travail considérable d’écriture de « l’interprétation des rêves » qu’il va entreprendre dès 1895 (année où il va analyser « l’injection faite à Irma » selon la nouvelle méthode), mais plus sûrement à partir de 1896. En 1896, Jakob, le père de Freud meurt ; Sigmund va alors beaucoup rêver et analyser ses rêves, souvent en rapport avec la mort ; ce fut une période de crise, difficile pour lui, et qui n’a fait que majorer certaines difficultés dont il souffrait auparavant : passage de périodes d’intense abattement où il ne pouvait que s’agiter, en n’étant capable de rien, à des périodes d’euphorie, où il se sentait si bien qu’il n’avait plus nul besoin d’écrire ou de travailler ; heureusement ces phases « bipolaires » alternaient avec des moments intermédiaires, beaucoup plus productifs. Il souffrait aussi de somatisations… C’est au travers de ses rêves que Freud va découvrir son attachement pour Amalia, son ambivalence par rapport à Jakob, et le conflit qui l’a agité à la mort de Julius, quand il avait 18 mois, puis à la naissance de sa sœur Anna, lors de ses 2 ans ½ ; c’est là qu’il va prendre conscience de la complexité de sa famille, de ses passions enfantines, en un mot, de son propre « complexe d’Œdipe ». On peut penser que le travail d’élaboration du livre, avec comme support ses propres rêves comme les rêves de ses patients, a servi bien sûr à la mise au point de ses idées, mais aussi à surmonter avec patience et opiniâtreté ses propres difficultés, et la crise dans laquelle la mort de Jakob et les « retours du refoulé » à cette occasion, l’avaient plongé. Son ami Fliess, à qui il écrivait régulièrement durant cette période, a joué un rôle important dans cette auto-analyse, servant de support à la projection des affects et fantasmes de Freud, comme l’analyste d’aujourd’hui dans la relation transférentielle qui s’installe dans les cures. Cette relation inconsciente de transfert passionnel et de contre transfert, hors de tout cadre protecteur, est probablement une des raisons de la rupture avec Fliess, survenue peu après. Les biographes nous font part des peurs et les hésitations de Freud dans l’écriture du livre des rêves, de l’intensification temporaire des moments d’inhibition et d’exaltation, probablement à la mesure de l’énorme quantité d’énergie et à l’investissement psychique déployés pour l’élaborer. C’est un livre difficile, au genre littéraire incertain, un livre « inspiré » tout à la fois « traité scientifique, journal intime, confession, clé des songes, voyage fantastique quête initiatique…Et plus encore vaste fresque allégorique de l’inconscient » (D.Anzieu). Dans un 1er temps il n’a pas été couronné de succès : les 600 exemplaires initialement tirés mettront 8 ans à s’épuiser, ce qui montre bien la méfiance avec laquelle les idées de Freud a été accueillie.

Freud distingue dans le rêve un contenu manifeste et un contenu latent. Le travail du rêve a été de transformer le contenu latent en contenu manifeste ; le travail d’analyse est au contraire la recherche en arrière-plan du contenu manifeste, le contenu latent.

Le rêve est un accomplissement de désir, pense Freud à ce moment-là, mais un accomplissement de désir méconnu, refoulé, et souvent en conflit avec les désirs conscients du rêveur (qui songerait à tuer père et mère. En rêve ça peut tout à fait arriver !). C’est plus simple chez les enfants.

Bien sûr le rêve reste un phénomène important pour le psychanalyste ; Les rêves de la nuit, dont l’existence est due au fait que le rêveur baisse la garde pendant le sommeil, ce qui permet au refoulé de se frayer un chemin, sont de ce fait le plus souvent oubliés, la censure reprenant ses droits au réveil. Néanmoins, maintenant qu’il est clair que les psychanalystes aiment les rêves, il arrive que certains patients en apportent une pléthore, parfois pour ne pas parler d’autre chose…Parfois en attendant de parler d’autre chose…Comme pour mettre un rideau de fumée.

Comment ça fonctionne ? Les quelques 200 rêves, pour le quart d’entre eux les siens, que Freud a publiés dans Die Traumdeutung, sont extrêmement explicites quant’à la façon dont opèrent travail et analyse du rêve.

Je donnerai l’exemple d’un petit rêve personnel assez proche de la fin d’analyse : « c’est Noël. Je vais rendre visite à une famille pauvre, des cadeaux plein les bras, mais je ne me sens pas très bien ; est-ce que j’ai raison d’apporter tous ces cadeaux à ces gens ? Ne risquent-ils pas de se vexer d’être ainsi assistés ? Puis autre partie de rêve : je me trouve chez ma mère et je cherche désespérément dans ses placards un foulard, sans trop savoir pourquoi c’est aussi vital de le trouver »

Je ne comprends rien à ces 2 fragments de rêve quand je les apporte à mon analyste ce jour-là. Bien sûr j’ai vu la veille un film « y aura-t-il de la neige à Noël » où effectivement il était question d’une famille pauvre (femme avec 7 enfants et un père volage, brutal et incestueux. Menace de suicide familial tant la vie est rude. Un espoir : la neige pour Noël) ; puis tout d’un coup je comprends : 7 ans auparavant, en début d’analyse, pour Noël, mue par une volonté manifeste de faire plaisir à mon analyste, je lui avais fait cadeau d’un magnifique foulard de soie, dont les motifs n’étaient pas sans lien avec l’analyse ; je m’étais bien gardée d’associer autour de ce geste ; l’analyse avait continué et les 2 avaient oublié cet épisode. Or le rêve, à partir des restes diurnes (le film) puis les associations, montre que les sentiments qui ont présidé au don de ce cadeau étaient beaucoup complexes qu’il n’y paraissait : envie d’aimer et d’être aimée, d’être unique (nous étions, dans ma famille aussi, 7 enfants, avec une mère assez seule) mais de plus (car je n’étais pas sans savoir qu’en analyse on ressent et parle, mais on n’agit pas, fut-ce en faisant un cadeau) voir ce que l’analyste allait faire ou dire, la « coincer » en quelque sorte, avec toute la culpabilité que cette forme d’agressivité pouvait avoir déclenchée, et qui serait restée inanalysée sans le rêve. Ce rêve montre bien l’utilisation des restes diurnes (le film), les déplacements : l’analyste est à la fois la femme pauvre à qui j’offre un cadeau et la mère, le retournement (c’est moi qui aimerait être aimée et recevoir des cadeaux car être l’ainée de 7 ce n’est pas toujours facile etc…Je résume)

La sexualité infantile

1905, année de la sortie des 3 essais (rupture avec Fliess et début de la renommée internationale de Freud ; beaucoup de patients viennent d’Europe de l’Est), puis très nombreux ajouts et remaniements jusqu’en 1925.

Je rappellerai tout d’abord l’énorme scandale qui a accompagné la sortie des 3 essais, rendant Freud presque universellement impopulaire. Comment ? L’enfant ce petit ange s’intéresserait-il vraiment aux orifices et aux surfaces, à ce qui entre et sort par les trous du corps, à soi-même et à autrui, faisant un usage sexuel de tout ? Est-il vraiment ce pervers polymorphe, voyeur, excité, cruel….La sexualité servirait-elle à autre chose qu’à la procréation ? Ceci est d’autant plus étrange que les faits que Freud raconte sont bien connus (cf le savoir de la nurserie dont a parlé D.L), et que dans cette Vienne puritaine du 19eme siècle on ne compte pas le nombre d’enfants séduits par une bonne, un ami de la famille…L’homme aux loups, Dora, et Freud lui-même dont les biographes disent qu’il a été initié à la sexualité par la Nannie, la bonne très catholique qui s’est occupé de lui jusqu’à ses 2 ans ½.

Ce qui a surtout fait scandale c’est la proclamation virulente et avec une liberté de ton sans pareille de la part de Freud, que ce qui se passe chez l’enfant relève de la pulsion sexuelle, et a une importance primordiale dans le développement du psychisme ; ceci souligne l’importance de l’enfance, de ce qui s’y joue, s’y rêve et s’y élabore. Jusqu’en 1897 (30/9/1997 à Fliess : « je ne crois plus à ma neurotica ») Freud pensait que l’hystérie avait ses racines dans une séduction réelle d’un enfant par un adulte aimé, le père le plus souvent. Il était allé jusqu’à accuser son propre père (décédé en octobre 1896) d’avoir occasionné ainsi les symptômes dont souffraient 3 de ses sœurs et son jeune frère. C’est avec son auto-analyse, au travers de ses rêves en particulier, qu’il a découvert son intense attachement pour sa jeune mère, son ambivalence vis-à-vis de son père etc… et pu faire la part du fantasme dans les constructions de l’enfant (ce qui n’exclue pas totalement la possibilité parfois d’une séduction réelle). Ainsi Freud nous montre l’enfance comme un monde de passions, complètement gommé par l’amnésie infantile, équivalent pour l’enfant du refoulement du névrosé. La période de latence qui succède à cette effervescence se traduit au contraire selon Freud par de la pudeur, du dégout, la mise en avant de valeurs morales ; la pulsion sexuelle est alors sublimée. (NB : l’excitation de bien des enfants de 8/9 ans aujourd’hui témoignent en partie de ratés de la latence)

Il me semble que la sexualité infantile peut se définir par 2 choses :

-1. La mise en jeu des « pulsions partielles » à partir de zones érogènes multiples:

Plaisir béat du suçotement, étayé au début sur la fonction de nutrition, puis s’en dégageant peu à peu « lorsqu’on voit un enfant rassasié quitter le sein en se laissant choir en arrière et s’endormir, les joues rouges, avec un sourire bienheureux, on ne peut manquer de se dire que cette image reste le prototype de la satisfaction sexuelle dans l’existence ultérieure ». Le suçotement pourra continuer sous une forme ou une autre plus tard, ou encore se transformer en son contraire (dégout etc…)

Plaisir urétral.

Plaisir anal de rétention, ce qui se lie à l’entêtement, au contrôle, à une agressivité plus ou moins contenue, ou au contraire d’expulsion, de soumission en acceptant de donner le cadeau demandé.

Cf. Les gros mots, souvent teintés de sexuel.

Masturbation infantile. Une patiente sans savoir pourquoi était depuis toujours obsédée par le diable. Certes, elle était allée au catéchisme, et il en avait été question, mais de là à organiser sa vie d’adulte dans un soucis de contrôle total et de quasi perfection de façon à ne laisser aucune place à ce sombre individu…Lors d’une séance un souvenir lui revient : elle a 3 ans environ, est assise sur une table et balance ses jambes l’une après l’autre, de façon rythmique, en se frottant les cuisse, et sa grand-mère lui dit « arrête de balancer le diable ». La petite fille est médusée, ne comprend pas ce que veut dire la grand-mère, et ce n’est que beaucoup plus tard dans l’analyse qu’elle pourra comprendre cette allusion à une forme de masturbation infantile, et qu’elle pourra parler du plaisir qu’elle y trouvait.

Notion de stades de la libido, conceptualisée et ajoutée aux 3 essais en 1915, en fonction des zones érogènes. Organisations génitales et pré génitales

Pour peu que l’enfant tombe sur un adulte séducteur, il se révèle comme un véritable « pervers polymorphe », et c’est justement le plaisir qui jaillit chez l’enfant séduit qui pose problème pour lui (culpabilité), sauf s’il est véritablement pervers (cf. « éloge de la marâtre » de Vargas Llosa, livre dans lequel un adorable bambin de quelques années fait tout pour séduire sa belle-mère, l’entrainer au passage à l’acte, et, par là-même, aboutir au renvoi de celle-ci, dont il voulait se débarrasser)

De plus l’enfant est un voyeur qui aime à regarder les autres enfants uriner et déféquer (cf « par le trou de la serrure) et un être volontiers sadique, cruel envers les animaux pour les soumettre (pulsion d’emprise qui fournira plus tard le sadisme nécessaire à la pénétration)

-2. L’enfant chercheur et les théories sexuelles infantiles

Le petit « pervers polymorphe », à partir de ce qu’il ressent dans son corps, de ses constatations de voyeur, mais aussi à partir des évènements de la vie, tels une naissance ou la découverte de l’absence de pénis chez la fille, va se comporter en véritable chercheur, et se fabriquer des théories à lui, constructions imaginaires et poétiques, prélude du sens qu’il va donner à la vie, et se poser tout un tas de questions : d’où viennent les bébés ? A quoi sert le pénis et pourquoi la différence entre garçon et fille, que font les parents dans la chambre etc…Ce qu’il y a de remarquable, c’est que même les enfants « informés » vont construire ces théories, en solitaires, de façon clivée par rapport à ce qu’on leur a raconté : théorie de la naissance (par le trou des selles ?), de la fécondation (par l’oreille ? Par le nombril ? Par l’opération du Saint Esprit ?), théories autour de la différence anatomique entre les sexes : théorie d’un pénis pour tous, selon Freud, qui va pousser quand les filles grandiront ou qu’on leur a coupé par représailles, ce qui risque d’arriver au garçon s’il aime trop sa maman, le papa devenant alors le bourreau. L’enfant essaie aussi avec sa motricité de savoir où il en est (tape, cloue, troue etc…, joue au papa et la maman, au docteur etc..).

Exemple : La sexualité infantile dans les cures : exemple du souvenir écran des 3 ans d’une petite fille. Un souvenir écran c’est un peu comme le magnifique sari des femmes indiennes, qui voile le corps, tout en en soulignant les contours ; ça contient sous une forme symbolique « les années oubliées de l’enfance » et les émotions liées aux représentations. Dès la première rencontre avec son analyste, une patiente raconte qu’elle se souvient très peu de sa petite enfance, mais un souvenir est là, très précis, comme si ça s’était passé hier : « j’ai 3 ans et mon papa m’a emmenée au cinéma voir le film « Jumbo » (le petit éléphant). Je ne me rappelle du film que la dernière image : l’éléphant part dans les étoiles avec, perchée au bout de sa trompe, la petite souris dont il a été question dans le film. Ce souvenir me ravit encore. Or le papa de la petite fille que j’étais, était un marin. Donc très absent. Quand il rentrait à la maison, peu après arrivait dans la famille un nouveau bébé (à 3 ans, j’étais déjà l’ainée de 3) ». Ce souvenir condense les théories sexuelles de cette petite fille, qui se demandait de quelle trompe pouvaient bien sortir tous ces bébés, le désir œdipien d’avoir son père pour elle, de profiter de ses attributs (son pénis/trompe et ce qu’une « petite souris » peut en attendre), plaisir proportionnel à la souffrance de si peu le voir et quasiment jamais dans une relation duelle. Cette séance de cinéma fut la seule occasion de sa vie.

Il faut bien comprendre que la sexualité infantile, ce n’est aucunement la sexualité adulte, qui, elle, vise à la décharge orgasmique. Pour l’enfant il s’agit de bien autre chose, de toute une construction où l’enfant s’efforce de faire une synthèse entre ses ressentis corporels et ses intelligentes questions sur la vie ( 3 ans, c’est l’âge des questions)

Quant ’au complexe d’Œdipe, c’est une notion que Freud découvre dans son auto-analyse et auquel il va donner une valeur universelle : « j’ai trouvé en moi comme partout ailleurs des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont, je le pense, communs à tous les jeunes enfants…S’il en est ainsi, on comprend l’effet saisissant d’Œdipe Roi » écrit-il à Fliess dès 1897. (puis le garçon va renoncer à l’Œdipe sous l’effet du fantasme de castration, avec l’ effet « civilisateur » qui en découle, favorisant son entrée en latence ; différent pour la fille comme Freud tentera de l’élaborer en 1925).

Notion d’Œdipe positif et d’Œdipe négatif ou inversé, sous l’égide de la bisexualité psychique, perçue très tôt (cf influence de Fliess), mais vraiment théorisé en 1923.

Le transfert

Déjà présente dans les études sur l’hystérie, la notion de transfert va beaucoup évoluer…Et on peut même dire qu’il y a eu dans l’analyse une sorte de changement de paradigme. Pour un certain nombre d’analystes, ce n’est plus le rêve qui est la voie royale d’accès à l’inconscient, mais bien le transfert !

C’est dans le cas Dora (1905) que Freud va commencer à donner à ce concept une importance particulière. Dora, c’est l’histoire d’un échec : en effet la jeune fille (Ida Bauer) va prendre la fuite au bout de seulement 11 semaines d’analyse (de septembre à décembre 1899), mais cette fuite va entrainer un important questionnement chez Freud, qui va découvrir que Dora rejouait quelque chose avec lui, dans la cure. Elle avait été très attachée à son père, Philip Bauer, malade ; très jeune elle avait contribué à le soigner, puis elle avait été très malheureuse quand elle s’était aperçu qu’il avait une liaison avec Peppina Zellenka (Mme K) la femme d’un couple ami, à laquelle Dora était aussi très attachée, et qui était pour elle une sorte d’éducatrice en matière de sexualité (prêt de livres etc..) ; de même elle était malgré les apparences, selon F., secrètement attirée par l’homme de ce couple ami, Hans Zellenka (Mr K.), qui l’avait embrassée fougueusement quand elle avait 14 ans, puis lui avait fait des propositions, quand elle avait 16 ans ; Dora les avait refusées avec dégout puis avait fui de Merano, la ville où ceci s’était passé ; ses parents ne l’avaient pas crue quand elle leur avait raconté ces évènements. Troubles nerveux ; adresse à Freud. Celui-ci dans un enthousiasme et un état de manie interprétative va reconstituer l’histoire à partir de 2 rêves et du matériel apporté par Dora, mais aussi par son entourage, et ce n’est qu’après la fuite de D. qu’il se rendra compte que lui-même, dans la cure, éveillait par « transfert » chez Dora les mêmes sentiments d’amour incompris et déçu que Hans Zellenka et Philip Bauer, et que les 2 rêves étaient déjà annonciateurs du désir de représailles de la jeune fille vis-à-vis de Freud, et de la fuite imminente de Dora. Ainsi D. mit en action une importante partie de ses souvenirs et de ses fantasmes, au lieu de les remémorer dans la cure. Plus tard (note de 1923), plus au clair avec la bisexualité, Freud ajoutera que, si cette analyse n’avait pas pu aboutir, c’est qu’il avait sans doute méconnu l’attachement homosexuel de D. pour Peppina (sans aller jusqu’à percevoir qu’il avait pu lui-même représenter pour Dora une Peppina bis, en « appelant un chat un chat en matière de sexualité », et en attirant ses confidences )

A partir de ce moment-là, le transfert, pour Freud, ne peut être évité, et apparaît comme un mal nécessaire ; la cure analytique ne le crée pas, il existe dans la vie courante, elle ne fait que le démasquer, « le deviner » (il est inconscient !)… De même, Freud ajoute que « ce qui différencie les autres cures de la psychanalyse ne se manifeste qu’en ceci : habituellement le malade au cours des autres traitements, ne fait spontanément appel qu’à des transferts affectueux et amicaux en faveur de sa guérison (sinon il part). Dans le traitement psychanalytique, par contre, toutes les tendances, même les tendances hostiles, doivent être réveillées, utilisées pour l’analyse en étant rendues conscientes », ainsi « le transfert, destiné à être le plus grand obstacle de la psychanalyse, devient son plus puissant auxiliaire, si on réussit à le deviner chaque fois et à en traduire le sens au malade ». C’est donc réellement un mal pour un bien.

Petit à petit le transfert va devenir un véritable organisateur de la cure, dont l’élaboration se trouve dans les écrits techniques qui recouvriront une quinzaine d’années de réflexion sur la technique (1904-1919)

Freud, dans le 1er exposé d’ensemble lié au transfert :(1912 : la dynamique du transfert dans « la technique psychanalytique ») montre plus clairement que le transfert existe dans la vie quotidienne de tout un chacun, mais que c’est seulement dans l’analyse qu’il peut être élaboré, puis analysé. Il est lié à des prototypes, à des façons de réagir à l’identique en fonction d’imagos (terme proposé par Jung)... Il distingue, ce qui est déjà amorcé dans le cas Dora, un transfert positif et un transfert négatif, fait de sentiments hostiles, et dans le transfert positif, un transfert de sentiments tendres et amicaux, favorable au traitement (transfert de base ou relation thérapeutique etc…), et un transfert érotique, passionnel qui, avec le transfert négatif sert la résistance. Il est nécessaire que les tendances hostiles et érotiques réapparaissent dans le transfert, de façon à être repérées et rendues conscientes ; il s’agit alors dans la cure, pour Freud sur le terrain du transfert « d’une véritable lutte entre le médecin et le malade, entre l’intellect et les forces instinctuelles, entre le discernement et le besoin de décharge », laquelle permettra une guérison durable de la névrose. « Avouons que rien n’est plus difficile en analyse que de vaincre les résistances, mais n’oublions pas que ce sont justement ces phénomènes-là qui nous rendent le service le plus précieux en nous permettant de mettre en lumière les émois amoureux secrets et oubliés des patients et en conférant à ces émois un caractère d’actualité car « nul ne peut être tué in abstentia ou in effigie ». La cure devient une sorte de laboratoire où des attitudes de la vraie vie qui handicapent l’analysant se rejouent et peuvent ainsi être compris

Avec « remémoration, répétition, perlaboration » (1914), Freud oppose la remémoration à la répétition  en particulier dans le transfert « d’états morbides du passé, inhibitions, attitudes inadéquates, traits de caractère pathologiques » et souligne la nécessité de faire lien entre passé et actuel de la cure…de « transformer la compulsion de répétition en raison de se souvenir » « cette partie de la vie affective qu’il ne peut plus se rappeler, le malade la revit dans son rapport avec le médecin » (ex : tel patient se montre insolent et rebelle dans la cure alors qu’il ne se souvient pas l’avoir été, même en pensées, vis-à-vis de ses parents ). En outre, il met en garde contre les risques de passage à l’acte désastreux en début de traitement par une sorte de réveil des éléments névrotiques actifs et souligne la nécessité de limiter les droits de la répétition, en lui permettant d’exister dans « cette sorte d’arène qu’est le transfert », essayer de ramener dans le transfert les désirs de passages à l’acte réveillés par l’évolution de la cure de façon à utiliser « in statu nascendi » les intentions en tant que matériaux . Cf 2ème règle fondamentale.

Freud va donc faire du transfert un processus qui structure l’ensemble de la cure sur le prototype des conflits infantiles, et dégager une notion nouvelle, celle de névrose de transfert : la cure va remplacer la névrose commune par une névrose de transfert, sorte de maladie artificielle qui se déroule dans un cadre suffisamment contenant, domaine intermédiaire entre la maladie et la vie réelle, dont il (le patient) peut être guéri par le travail psychanalytique

On voit donc que la tâche du psychanalyste se complexifie : jusque-là il s’agissait d’interpréter les souvenirs et les rêves, puis d’analyser les résistances s’opposant à la remémoration, dont le transfert ; maintenant il s’agit de permettre à la névrose de transfert de s’établir dans toutes ses dimensions, de façon à l’interpréter et ainsi à enrayer l’automatisme de répétition en le rendant conscient.

Les choses se complexifieront encore après 1920 et l’introduction dans la théorisation freudienne de la pulsion de mort, mais ce sera pour la prochaine fois.

Quant’au contre transfert, je pense que ce mot est souvent utilisé à tort. Il ne s’agit nullement de l’ensemble des sentiments éprouvés face à un patient. Il est inconscient et cette notion a évolué depuis Freud (qui y voyait un obstacle à l’analyse venant de l’analyste, à surmonter, pour ne pas répondre au transfert amoureux ou agressif du patient par un passage à l’acte. Pour lui cette question du contre transfert justifiait la nécessité pour l’analyste d’avoir été au préalable analysé)

Voilà ce que je pourrais en dire maintenant :

Le contre transfert c’est un moment particulier de rencontre entre 2 inconscients 

Premier point : l’analyste comme le patient est doté d’un  inconscient constitué de toutes sortes d’éléments ; restes du refoulé de son histoire infantile, bien sûr, mais aussi refoulé de son histoire analytique : l’analyste a hérité d’ éléments contre transférentiels de son propre analyste ;il s’est identifié à lui, de façon consciente et inconsciente ; tout cela entre en ligne de comptes dans ses choix et références psychanalytiques…Je ne détaillerai pas plus, mais le fait que l’analyste accueille le patient avec tout un refoulé préalable a pu faire dire à M.Neyraut que le contre transfert précède le transfert .

Deuxième point : chez certains patients, ou à certains moments plus prégnants d’un travail analytique surgissent chez l’analyste, à son insu, et parfois à sa grande surprise des affects, mais aussi des rêves, fantasmes, figurations, éprouvés corporels ou actes manqués. A quelle histoire appartiennent toutes ces manifestations ?celle de l’analyste et de ses tâches aveugles ?celle du patient, de ce qu’il ne peut vivre et éprouver pour le moment et qu’il fait vivre et éprouver à l’analyste, pour peu que ce dernier ne se réfugie pas dans un évitement phobique? Celle de la rencontre entre tâches aveugles de l’un et projections de l’autre ? l’affaire n’est pas simple :élaborer et analyser ce qui se passe dans ces moments d’indétermination semble un moyen particulièrement précieux pour que puisse s’écrire l’ histoire qui s’avère assez souvent celle des traumatismes, des blessures narcissiques, des parties non névrotiques et non symbolisées, non subjectivées du patient.

Ces moments d’analyse nous obligent à changer de vertex : on n’est plus sur le terrain du refoulé et du retour du refoulé… (Voir clinique de ceux qui s’occupent de psychotiques, d’enfants, de patients somatiques graves).